Les sikhs
Chacun a déjà rencontré des sikhs : avec leur turban soigneusement noué, la résille dans laquelle ils enveloppent leur barbe et leurs cheveux, leur pantalon serré aux mollets, les sikhs ne passent pas inaperçus. Remarquables soldats, ils étaient les piliers de l’armée des Indes. Aujourd’hui encore, ils représentent 10 % des officiers indiens alors qu’ils ne sont qu’environ 2% de la population, c’est-à-dire près de 17 millions d’hommes.
Numériquement, leur religion est donc importante, ses pratiquants sont plus nombreux que les juifs. C’est aussi une religion relativement récente, sensiblement contemporaine de l’apparition du protestantisme.
Originellement, c’est un pont jeté entre l’hindouisme et l’Islam. Le fondateur de la religion sikh, le gourou Nanak, est né en 1469 dans la région de Lahore, dans l’actuel Pakistan. C’était l’époque de la dynastie des Mogols qui a laissé à l’Inde, entre autres, le merveilleux mausolée du Taj Mahal. Cette dynastie musulmane s’est imposée en 1526 sur une population profondément hindouïste et le choc des cultures portait naturelle¬ment à la réflexion. Nanak, renonçant au mariage préparé par ses parents, partit voyager et se rendit jusqu’à La Mecque. En fait, sa vie est auréolée de légende et son histoire n’est pas très certaine, mais, à l’âge de cinquante ans, il eut une vision qui le convainquit de son rôle missionnaire. Peut-être, au cours de ses pérégrinations, rencontra-t-il le sage Kabir qui luttait contre les divinités multiples du panthéon indien et prônait le culte d’un dieu unique sans images, comme il sied à un bon musulman.
Ce qui est certain, c’est qu’à cette époque, l’Islam, après avoir été ressenti comme une culture étrangère à l’Inde et imposée par la force, commençait à séduire les hindous de basses castes par son caractère éga litaire qui permettait à chacun d’entrer dans les lieux de culte et de participer aux fêtes.
Nanak fut convaincu du caractère invisible de Dieu et de l’inanité des idoles. Il disait : « Ekam onkar nironkar », « Dieu est incorporel ». Ailleurs, il décrivait Dieu ainsi :
« Il n’a pas de nom, pas de résidence, pas de caste.
Il n’a pas de forme, de couleur, de limites.
Toujours parfait, Il est présent de toute éternité et le restera.
Il n’est d’aucun pays et ne porte pas d’habits particuliers.
Il n’a pas d’apparence. Il est libre du désir ».
Nanak fut ainsi conduit à allier une conception de Dieu proche de celle de l’Islam avec des pratiques hindouistes de dévotion. Il se mit à prêcher une religion libérée des castes et de la pratique hindouiste médiévale du
« sutee » selon laquelle les veuves étaient brûlées sur le bûcher de leur mari défunt. Mais il rejetait aussi la pratique musulmane du port du voile pour les femmes et de leur exclusion de la vie publique. En outre, en refusant l’Islam, Nanak allait dans le sens du nationalisme indien qui reprochait aux musulmans les pillages et les conversions forcées de l’époque de la conquête.
Ainsi, la nouvelle religion fondée par Nanak est clairement monothéiste et rejette toute représentation de Dieu mais elle ne se coupe pas complètement des pratiques humanistes de l’hindouisme.
En fait, elle renvoie dos à dos hindouistes et musulmans qu’elle souhaite tous convertir à l’enseignement sikh.
Curieusement, le mouvement sikh ne provoque pas d’excessives réactions doctrinales de la part des musulmans ou des hindouistes. Ceux-ci tiennent les sikhs pour une de leurs nombreuses sectes tandis que les musulmans ne les renient généralement pas et les considèrent comme un ordre d’inspiration soufî.
C’est le quatrième successeur de Nanak, Ram das, qui, protégé par l’empereur mogol Akbar, fit construire au milieu d’un étang le fameux temple d’or. Ainsi la ville d’Amritsar, dont le nom signifie « la ville de l’immortalité » ‘, devint la Rome de la religion sikh.
Ce n’est que le fils et successeur de Ramdas, Aijun, qui publia le livre saint des sikhs, le Granth, dont le nom signifie simplement « livre », où sont rassemblés tous les écrits sur la religion sikh depuis Nanak. On y trouve 3 384 hymnes composés en langues hindi et pandjabi. Celui-ci, par exemple, sert d’introduction à la mission de Nanak :
J’ai interrogé les quatre Vedas, mais ces écrits ne montrent pas les limites de Dieu.
J’ai interrogé les quatre livres des musulmans, mais la parole de Dieu n y est pas écrite.
Je me suis baigné dans des ruisseaux et des fleuves, ainsi que dans soixante lieux de pèlerinage.
J’ai vécu dans les forêts et les clairières des trois Mondes, et j’ai mangé amer et sucré.
J’ai vu les sept régions d’ici-bas, ainsi que le Ciel au dessus du ciel.
Et moi, Nanak, je vous dis : l’homme sera fidèle à sa foi s’il croit en Dieu et fait le bien.
Un exemplaire enluminé du Granth est exposé au Temple d’or. Chaque soir, une procession aux flambeaux franchit le pont de marbre qui conduit à la rive de l’étang et le dépose dans un autre temple de marbre. Au petit
matin, la procession remporte le livre sacré dans le temple. Les croyants répandent des fleurs devant l’autel où il est placé.
Du temps de l’empire britannique, l’adoration du livre sacré faisait partie des cérémonies militaires des régiments sikhs ; pendant la lecture, on éventait le Livre avec des plumes de paon.
La célébration du livre divin comporte des chants dits « jap » et des rites de dévotion dits « bhakti ».
L’initiation à la religion sikh comporte un baptême par immersion, accompagné d’aspersion d’une boisson sucrée. On prend ensuite un repas sacré consistant en gâteaux de farine, beurre et sucre.
Les repas communautaires sont d’ailleurs une coutume fort importante chez les sikhs, puisqu’ils symbolisent le rejet du système des castes. Suivant l’exemple du premier village communautaire créé par Nanak, Kartarpour, chaque temple sikh – dit « gurudwara » c’est-à-dire « la porte du gourou » – dispose d’un restaurant communautaire dit « langer » où sont servis deux repas par jour.
Les membres de la communauté sikh, ou khalsa, doivent porter comme symboles de la pureté de leur religion ce qu’on appelle les 5 Âx’est-à-dire :
Kes, la barbe et les cheveux longs.
Kangha, le peigne.
Kacha, le pantalon court.
Kara, le bracelet d’acier.
Kripan, l’épée.
Le bracelet est le symbole de l’unité de la fraternité sikh et l’épée celui de l’autorité et de la justice.
Les sikhs s’efforcent d’étendre leur religion à l’ensemble du monde ; ils ont des centres en Amérique du Nord, en Afrique orientale, en Australie, à Londres et à Essen en Allemagne. Depuis 1960, le mouvement édite à Londres The sikhs Courrier.
Si vous rencontrez un sikh, ne vous étonnez pas qu’il s’appelle Singh, c’est-à-dire « lion » : tous les sikhs portent ce nom en l’honneur de Govind Singh (1675-1708), dixième et dernier gourou de la communauté militaire sikh. Le mot de sikh lui-même, donné à ses compagnons par Nanak, signifie simplement « élève », « disciple ».
85 % des 17 millions de sikhs vivent dans l’Etat du Pandjab, en Inde. L’écrasante majorité des sikhs est de langue pandjabi, mais les sikhs ne constituent qu’environ le tiers de la population du Pandjab indien, dont la majorité est hindouiste et parle hindi.