L'hypothèse d'un Dieu créateur
Comme dans le cas d’innombrables autres hypothèses scientifiques, remplacer notre incapacité à comprendre pourquoi nous sommes sur cette terre et ce que nous y faisons par le concept d’un créateur qui l’a voulu ainsi ne semble ni génial ni susceptible de changer grand-chose à notre vie.
Quand, au début du XIX siècle, des savants comme Ampère, Faraday ou Oersted faisaient leurs premières expériences avec l’électricité, personne n’imaginait que le monde pourrait être un jour menacé par une panne de courant généralisée.
Quand, au début du XXI siècle, Pierre et Marie Curie se lançaient dans l’exploration des phénomènes de radioactivité, ils ne pensaient pas à la bombe atomique ni à la bombe au cobalt.
L’hypothèse d’un Dieu créateur réserve aussi des surprises. En ce qui concerne l’organisation de l’univers et son évolution, elle n’apporte pas, jusqu’ici, d’avantages ni d’ailleurs d’inconvénients : que l’univers soit créé ou qu’il soit par hasard ce qu’il est, cela ne change pas fondamentalement la science physique ou astronomique. Les savants, croyants ou incroyants, en sont au même point : ils travaillent.
C’est, de façon très inattendue, dans le domaine des sciences humaines que l’hypothèse est extraordinairement féconde.
En effet, que le monde, et nous avec, soit voulu tel qu’il est, pose de façon radicalement différente la question de notre existence et apporte des éléments d’explication à des phénomènes jusqu’alors observables, mais inexplicables.
Notre évolution personnelle et celle de notre espèce apparaissent dorénavant orientées, aimantées, par cette évolution cosmique avec laquelle elles sont cohérentes. Pour dire les choses plus simplement, si le monde est créé, nous le sommes aussi. Nous sommes liés à la création et nous ne sommes pas sur terre par hasard.
Mais, bien sûr, l’hypothèse de ce Dieu ne peut, à elle seule, apporter davantage de réponse. Elle légitime seulement, et c’est déjà beaucoup, l’existence des religions, car, si Dieu existe, rien n’interdit de le chercher alors que s’il n’existait pas ce serait un exercice dénué de tout sens ‘Est-ce à dire qu’on ne peut pas faire une autre hypothèse, athée, celle de l’absence d’un dieu quelconque ? Pourquoi pas, il est parfaitement légitime de supposer qu’il n’y a rien, mais on ne fait alors que constater l’incompréhensible, comme les Gaulois constataient l’existence de la foudre, sans rien expliquer.
On est parfaitement libre de faire une hypothèse ou de n’en pas faire. Constatons seulement que la science se nourrit d’hypothèses et que refuser la légitimité d’étudier celle d’un dieu créateur n’est pas une attitude scientifique, c’est une attitude doctrinaire.
Ce Dieu créateur auquel on peut penser comme hypothèse scientifique s’est aussi imposé comme explication du monde à l’esprit d’hommes appartenant à toutes les cultures.
Chacun sait qu’il n’a été nullement nécessaire d’attendre des savants ni des philosophes patentés pour que l’idée de Dieu naisse dans l’esprit humain. Les sociétés primitives que l’on connaît ont toutes, d’une façon ou d’une autre, imaginé un ou plusieurs dieux. Elles expriment ce qu’elles pensent de ce dieu d’une façon évidemment toute différente de ce que nous disons aujourd’hui.
Essayons de reconstituer par l’imagination comment l’idée d’un dieu a pu venir à l’esprit des sociétés primitives.
Dans les âges les plus reculés de l’humanité, l’homme vivait déjà en société et, la nuit tombée, faute de pouvoir chasser, il échangeait des idées et se posait des questions.
Organiser la chasse du lendemain, raconter les histoires des ancêtres, établir des règles de comportement, dire quelque chose de beau ou d’extraordinaire pour le plaisir d’exercer son imagination, telles étaient les manifestations de ce que sont aujourd’hui l’esprit scientifique, les sciences humaines, la philosophie ou les arts.
Combien y a-t-il eu au cours des siècles de veillées, dont personne n’a gardé la trace, mais où l’esprit s’est envolé vers les horizons de l’intuition ou de la fantaisie ?
Tous les sujets ont dû y passer : pourquoi y a-t-il du bien et du mal, peut-on neutraliser les forces du mal et tirer parti de celles du bien, quel est le sens de la vie et de la mort, la mort conduit-elle quelque part, sommes-nous dépendants de la volonté d’êtres qui nous dépassent, quel est le meilleur comportement pour vivre heureux, la justice est-elle possible, y a-t-il des lois qui gouvernent le monde, à quoi obéissent la ronde des étoiles et le retour des saisons…
Intuitivement, l’homme primitif ne limitait pas la nature au visible, il se sentait entouré de forces qu’il était impuissant à dominer.
Ceci revient à dire que la religion vient de Dieu, en ce sens qu’elle serait absurde si Dieu ne nous laissait pas Le chercher.Spontanément, il se sentait entouré de ces forces que, sans bien les préciser, il a aussi appelées Dieu.
C’était sûrement un dieu proche de l’homme. Il allait de soi qu’on pouvait lui parler, qu’il fallait craindre ses colères. Sa toute-puissance apparaissait dans les moindres phénomènes naturels, tonnerre, éclipses, inondations… Dieu en était la cause immédiate et toute proche alors que, selon notre hypothèse, il en est une cause beaucoup plus lointaine, mais la cause quand même.
Alors, Dieu existe-t-il et qui est-il ? Pour plaisanter, on peut dire que la preuve de l’existence de Dieu est qu’on le trouve dans le dictionnaire. Plus précisément, s’il s’y trouve, c’est qu’il existe une idée de Dieu dans la tête des hommes.
Dieu peut ainsi apparaître comme une hypothèse scientifique de la création du monde aussi bien que le nom donné par l’homme depuis la préhistoire à un ensemble de forces obscures qui suggèrent l’existence d’un Etre suprême tout-puissant. Dans les deux cas, il s’agit d’une démarche de l’homme vers un Dieu dont il ignore tout, sauf qu’il doit être le créateur de l’univers. L’Homme serait-il l’inventeur de Dieu ?