Vivre avec dieu
L’homme, même croyant, a incontestablement des difficultés à vivre une vie spirituelle. Nous sommes tous assez occupés à gagner notre vie, à bâtir une œuvre ou une famille, à rechercher notre propre jouissance pour que la place laissée au spirituel soit vraiment importante. Il en est de même d’ailleurs pour la vie intellectuelle et l’on ne peut pas dire que la recherche d’une pensée personnelle soit l’obsession constante de l’être humain. Cependant, on peut vivre d’une activité intellectuelle, même si elle n’est ni créative ni originale, et l’exercice cérébral a sans doute des avantages si l’on en juge au peu d’empressement des intellectuels à prendre une retraite végétative ou à se reconvertir dans des carrières manuelles.
La vie spirituelle, elle, n’apporte aucun confort matériel ; elle nourrit mal son homme, à l’exception de certains gourous qui exploitent la crédulité de leurs adeptes. Il est dans la nature des religions de recommander un certain dépouillement propice à rapprocher de Dieu. Cette austérité est propre à rebuter ceux qui voudraient l’intimité de Dieu sans s’éloigner de leurs plaisirs et de leur confort.
Tout naturellement, ceci conduit à un compromis entre l’idéal proposé par Dieu, tel qu’il est interprété par les religions, et ce que chacun a envie de faire, selon son tempérament et son éducation, l’ensemble étant conditionné par la pression sociale. En Islam, cette dernière est assez forte pour que la société paraisse extérieurement très religieuse. Ceux qui n’ont pas d’appétit pour la vie spirituelle doivent s’en accommoder, ils vivent en « hypocrites ». Une situation semblable se rencontre dans certaines zones rurales de pays anglo-saxons, en Australie par exemple, où la communauté est structurée selon l’appartenance à telle ou telle Eglise et où les non- cotisants sont considérés comme des parias.
Dans les pays où se pratique la tolérance, comme le sont généralement ceux de culture bouddhiste ou d’Europe occidentale, de nombreux croyants se comportent apparemment comme si Dieu ne les préoccupait pas. Ils font appel à Lui quand le besoin de son aide se fait sentir, sans bien réaliser le manque de dignité d’une attitude qui prend Dieu pour une bouée de sauvetage et suscite l’ironie des incroyants.
Ces diverses attitudes manquent évidemment de logique : il faut bien constater que l’extrême discrétion de Dieu ne laisse place, malgré tout, qu’à l’acceptation ou au refus de ce qu’il propose, c’est-à-dire de Lui faire confiance et de Le suivre. Le suivre à moitié, si l’on croit en Lui, ou faire semblant de Le suivre sous la pression de la société, si l’on n’y croit pas, sont des positions incohérentes.
Une réflexion analogue peut se faire à propos des religions : concevoir la religion comme une fin en elle-même est une forme d’idolâtrie ; prendre la religion pour un club ou un « parti de Dieu »1 où se retrouvent des initiés privilégiés fait injure à l’universalité du Créateur ; considérer la religion comme une explication philosophique possible de l’univers limite la grandeur de Dieu.
Finalement, il semble bien que la seule position cohérente avec la foi en Dieu n’est pas de vivre avec Lui comme avec un voisin de palier indifférent mais de vivre de Lui. C’est ce que recherchent les mystiques de toutes les religions.