L’animisme ou la peur du chaos
Il semble que l’animisme soit le fondement spirituel de l’humanité. Le chamanisme, issu du nord de l’Asie, voyagea avec les Mongoloïdes à travers la Chine, le Japon et l’Asie du Sud-est d’une p Vers l’Ouest, il franchit le détroit de Béring et couvrit l’Amérique du Nord et du Sud jusqu’à la Terre de Feu. L’Europe archaïque aussi vécut ses « religions naturelles » et l’Afrique ne s’en est jamais vraiment défaite.
L’orage, la pluie, le soleil, la naissance d’un enfant, la maladie, la mort surgissent n’importe quand, sans cause apparente. L’homme s’interroge. Face au grand désordre, au chaos qui le terrifie invente des raisons, il fabrique des relations, des lois « naturelle Ces explications vont le rassurer. Et elles le rassureront d’autant p qu’il aura réussi à tout expliquer. Rien ne sera laissé au hasard, chaque effet trouvera une justification. Le chaos général sera recouvert d’un tissu de relations de cause à effet, sera revêtu d’un ordre impeccable. Quoi de plus tranquillisant qu’un monde bien rangé ?
Si une branche tombe sur un habitant de la forêt du Mayumbe, dans le Bas-Congo, et le tue, tout le village se réunit et recherche la cause, la raison qui a fait tomber la branche. Elle n’est certainement pas tombée par hasard (ce serait beaucoup trop inquiétant car alors cela pourrait arriver à tout le monde), c’est que quelqu’un l’a fait tomber, c’est que quelqu’un a jeté un sort au malheureux ! A force de chercher qui aurait bien pu en vouloir à la vie de la victime, un jeune garçon en l’occurrence, des convictions finissent par se dégager : ce pourrait être la mère par exemple. En effet, on se rappelle que la dot qu’elle avait reçue lors de son mariage était plutôt pauvre et qu’elle se sentait une épouse au rabais. La preuve en était qu’elle n’avait eu que des filles coup sur coup et que ce n’était qu’au neuvième enfant qu’elle avait eu un garçon, justement celui qui venait de mourir. Cela aurait été pour elle une belle vengeance d’éliminer le seul guerrier de son mari ! Un moyen de le faire souffrir au plus profond de son orgueil de mâle ! Mais, à la réflexion, on se dit que cette mère n’ayant finalement plus de fils pourrait bien être répudiée, et que ce ne serait pas pour elle un grand avantage car une fois « en chômage de mari », une femme qui ne fait que des filles, ou presque, n’a aucune chance de refaire sa vie. Le village cherche donc un autre assassin… et le trouve ! La mère de l’épouse avait été véritablement humiliée par cette dot ridicule, elle avait vraiment une raison d’en vouloir au mari. Cependant elle ne pouvait rien contre lui, n’étant pas située dans sa ligne maternelle à lui. Elle ne pouvait donc que s’en prendre à son petit-fils et atteindre par là son gendre dans son trésor le plus cher. C’est certainement elle qui aura ordonné à la branche de tomber ! Les discussions se poursuivent tard sous l’arbre à palabres. Elles peuvent même durer plusieurs jours. Mais à la fin, la belle-mère finit par considérer elle-même, ainsi qu’on le lui suggère aimablement, qu’elle avait de bonnes raisons pour souhaiter la disparition. En y réfléchissant bien, aidée par le vin de palme et par les paroles sages et persuasives des anciens, elle finit par avouer que, effectivement, elle avait souhaité à plusieurs reprises la disparition du fils de l’indélicat et qu’elle avait, en quelque sorte, appelé sa mort ! La société conclut qu’elle lui avait jeté un sort, qu’elle était très forte et qu’il valait donc mieux la craindre et lui vouer un respect, voire une admiration, à la hauteur de son pouvoir. Enfin, le village est soulagé ! L’accident a reçu son explication ! Et c’est dans le sentiment d’avoir de justesse échappé aux terribles forces de la nature, une fois encore, que les fêtes de l’inhumation peuvent commencer !