La venue de Jésus de Nazareth: Des sentiments de surprise, d’espoir et de déception
Des sentiments mélangés
Depuis le jour où Jésus a débuté sa prédication dans les villes et les villages de Galilée, il a donc fait naître dans son entourage des sentiments mélangés. Quelques privilégiés seulement ont sans doute su à qui ils avaient affaire ; je pense à Marie, à Joseph, quelques autres peut-être, que nous ne saurons jamais ; cela fait très peu de gens en définitive. Pour les autres, ils avaient tous un point commun, probablement : l’attente partagée par la grande majorité des juifs à l’époque, l’attente du salut, de ce que l’on appelle « l’ère messianique ». Matthieu et Luc, par exemple, rapportent la question posée à Jésus par les disciples de Jean-Baptiste : « Es-tu celui qui doit venir ? » (Matthieu 11,3; Luc 7, 19). Mais là s’arrêtait l’unanimité ; en revanche, sur la personnalité du Sauveur, l’Elu de Dieu, le Messie, nous avons vu à quel point les courants de pensée étaient divers. Et si Jésus a été éliminé, c’est bien parce qu’il ne correspondait guère (à première vue) à l’idée que les plus influents de ses contemporains se faisaient du Messie.
Surprise, interrogations, agacement, hostilité
Nous avons un effort d’imagination à faire sûrement, pour comprendre à quel point Jésus de Nazareth a surpris ses contemporains. Il en a fait rêver quelques-uns, de toute évidence, mais il en a déconcerté et même exaspéré bien d’autres.
Et d’ailleurs on peut se poser la question : si c’était si simple, Jésus de Nazareth aurait-il été crucifié ?
La preuve, justement, que ce n’est pas si simple : la majorité de ses contemporains, et non des moindres, ont répondu que ce n’était pas lui qu’on attendait. Et, aujourd’hui encore, des millions d’hommes ne le reconnaissent pas.
Espoir, hésitations, émerveillement
Quand il a commencé sa prédication itinérante, un cercle s’est constitué autour de lui, et des disciples ont commencé à le suivre. Peu à peu, un grand espoir est né ; et il est incontestable qu’en quelques occasions au moins, ses gestes, ses paroles ont rencontré un réel succès ; il y eut cette femme de Samarie impressionnée par ses propos et sa clairvoyance et qui est allée dire en ville : « Venez donc voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait » (Jean 4, 29) ; et vous vous rappelez qu’il y avait de quoi dire ! Car elle avait eu une vie sentimentale plus qu’agitée) ; et elle continuait : « Ne serait-il pas le Christ ?» Il y eut Marthe, la sœur de Lazare, qui lui déclara : « Je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, celui qui vient dans le monde » (Jean 11, 27). Et combien d’autres sans aller jusqu’à une telle prise de position, se sont posé des questions ; et dans la foule on guettait les réactions des prêtres et des Pharisiens à son sujet. Allaient-ils reconnaître en lui le Messie attendu ? Et alors la longue attente cesserait enfin ! Sans pouvoir dire combien de juifs au juste se sont attachés à Jésus au cours de sa vie publique, il est certain que son succès a fait du bruit ; la preuve, il a commencé à inquiéter les autorités. S’il n’avait dérangé personne, on ne l’aurait pas poursuivi et éliminé.
La déception
Et c’est bien ce qui s’est passé ; un beau jour, nous dirions plutôt un horrible jour, les chefs du peuple ont décidé de régler le problème ; et dès qu’une occasion favorable s’est présentée, on l’a arrêté, un jeudi soir à Jérusalem. Il y eut cet affreuse nuit de l’arrestation, puis le jugement, la condamnation, l’exécution ; tout est allé très vite, le vendredi tout était fini. Il était mort, lui, mais mort aussi l’espoir qu’il avait fait naître. Ce n’était pas seulement l’immense chagrin des amis, des proches, une douleur que nous pouvons bien imaginer ; c’était une déception effroyable : car certains d’entre eux avaient fini par y croire ; enfin, le Messie attendu était là, tout près de nous, on le suivait, on buvait ses paroles, pas toutes très claires d’ailleurs, mais on faisait partie de ses intimes ; il suffisait de le suivre, visiblement Dieu était avec lui, ses nombreux miracles en témoignaient. Enfin, le monde nouveau était en train de naître. Ce Messie allait un jour ou l’autre prendre la tête du peuple d’Israël et chasser les Romains. Et il instaurerait le royaume de justice et de paix que Dieu avait promis.
Et voilà que tous ces beaux rêves ont été cloués sur la croix de Jésus. Il nous arrive de nous étonner que les disciples n’aient pas été très nombreux au pied de la croix, ni même très courageux pour accompagner Jésus dans son effroyable épreuve ; mais ne peut-on pas penser que ce qui se passait là les surprenait au plus haut point ? S’il était le Messie, comme on l’avait cru un moment, jamais des choses pareilles ne se seraient produites. Dieu n’allait quand même pas abandonner son Envoyé ! On peut penser que la Passion de Jésus et son exécution sont apparues à tous, disciples compris, comme la preuve que tout le monde s’était trompé. Je ne parle pas de Marie, sa mère ; nous ne savons rien de ses sentiments et, depuis l’Annonciation, et plus encore depuis la Présentation de Jésus au temple et la déclaration de Syméon, elle connaissait le secret de la personne et du destin de son fils.
Les disciples, eux, n’avaient pas bénéficié de telles révélations et on peut penser qu’ils éprouvaient à peu près les mêmes sentiments que les deux disciples d’Emmaüs dont parle l’évangéliste Luc. Deux hommes qui, visiblement, avaient espéré que ce fameux Jésus de Nazareth était vraiment le Messie et qu’il allait délivrer Israël, comme ils disaient eux- mêmes. Mais, pour eux, cela ne faisait pas l’ombre d’un doute, la mort de Jésus était la preuve définitive qu’il n’était pas le Messie. Pour la raison que j’ai dite plus haut, d’abord, Dieu n’aurait jamais laissé tuer son Messie ; et surtout peut-être parce qu’il y avait une fameuse phrase du livre du Deutéronome qui disait bien que tout condamné à mort est maudit de Dieu (Deutéronome 21, 23).