L'art aghlabide
la Grande Mosquée de Kairouan
Un art original
Nous ne savons pas grand-chose sur les premiers monuments de Kairouan. La Grande Mosquée fondée par Oqba ibn Nafi, en 670, fut plusieurs fois remaniée rebâtie, si bien que la mosquée actuelle n’aurait aucune partie antérieure au IXe siècle. La salle de prière reconstruite en 836 par Ziyadet Allah Ier, puis rrandie en 862 et 875, comprend dix-sept nefs orientées perpendiculairement au mur de la qibla. On trouve le plan en transept avec la nef centrale et la tavée qui longe le mur de la qibla plus large et plus lute que les autres. La nef centrale est ponctuée de deux coupoles sur trompes d’une remarquable perfect, l’une située devant le mihrab, l’autre au centre de façade du sanctuaire sur la cour. La plupart des
colonnes qui supportent l’édifice sont empruntées aux monuments antiques. Le minbar en bois sculpté et urné, travail d’artistes irakiens, est un des plus vieux le nous connaissions. Les magnifiques faïences à flets métalliques qui entourent le mihrab provient également de Bagdad. La cour dallée qui représente environ les deux tiers de la superficie totale est entourée d’un double portique. Le minaret carré et trapu, à trois étages superposés et couronnés d’une coupole, servit de prototype aux minarets d’Afrique du Nord La mosquée de Kairouan inspira la reconstruction de la mosquée de Tunis, la Zitouna (« mosquée de livier ») qui devint un grand centre d’enseignement. Aghlabides construisirent Dnastir et de Sousse. Celui de Monastir, très bien nervé, nous est décrit par Al Bakri (mort en 1094) :’’est une forteresse très élevée et solidement bâtie.
Au premier étage, au-dessus du sol, est une mosquée où se tient continuellement un cheikh rempli de vertus et de mérites, sur lequel repose la direction de la comunauté. Cet édifice sert de logement à une compagnie d’hommes saints et de murabits qui ont quitté parents et amis pour s’y enfermer et vivre loin du monde » (cité par M. Bergé, op. cit., p. 393). Celui de Sousse est un édifice de plan carré comportant une tour de guet-minaret. À l’intérieur, les cellules s’alignent sur deux étages. Le plan rappelle beaucoup celui des caravansérails.
Les Aghlabides édifièrent les résidences princières d’Al Abbassia et de Raqqada dans les environs de Kairouan, mais il n’en reste que des ruines peu visibles.
L’art andalou : la grande mosquée de Cordoue
La grande mosquée de Cordoue est un vaste quadrilatère de cent quatre-vingts mètres sur cent trente mètres dont les deux tiers sont occupés par la salle de prières, c’est-à-dire la proportion inverse de celle de Kairouan. C’est une des plus grandes mosquées, après celle de Samarra. La construction fut entreprise par Abderrahman Ier, en 785, mais la mosquée fut deux fois agrandie en profondeur (en 833 et en 961) et une fois élargie (988). Le mur d’enceinte présente un aspect de forteresse, mais il est embelli par plusieurs portes très décorées. Les dix-neuf nefs de la salle de prières perpendiculaires au mur de la qibla, sont portées par huit cent cinquante colonnes, la plupart d’origine romaine ou wisigothique « qui se croisent et s’allongent à perte de vue comme une végétation de marbre spontanément jaillie du sol » (Th. Gautier). L’originalité de l’arcature vient de la superposition de deux arcs en plein cintre à claveaux alternativement blancs et rouges, c’est-à-dire construits en pierre et en brique comme dans les monuments romains. La partie cons¬truite par Al Hakam II (961) est la plus ouvragée avec son réseau très complexe d’arcatures polylobées entre¬croisées et ses coupoles nervées inspirées de la Perse. Le mihrab octogonal, encadré de belles mosaïques dues à des artistes byzantins, est surmonté d’un dôme cannelé taillé dans une seule pièce de marbre. Dans les portes et dans le mihrab apparaît une forme qui marquera tout l’art hispano-mauresque : une ouverture en 152 arc en plein cintre outrepassé inscrit dans un rectangle. L’arc en plein cintre outrepassé continue la tradition vvisigothique, alors qu’en Orient, il est généralement brisé. L’art musulman s’est très vite affirmé en Espagne de façon originale. On s’attendait à voir triompher les influences syriennes à Cordoue ; or, on constate que les arts romain et wisigothique ont profondément laissé leurs marques. On sait que la belle ordonnance de la mosquée est rompue par la présence d’une cathédrale chrétienne édifiée en 1523, construction qui valut à ses promoteurs cette remarque cinglante de Charles Quint : « Si j’avais su ce que vous vouliez faire, vous ne l’eussiez pas fait, car votre œuvre est de celles qu’on peut trouver partout, mais ce que vous aviez auparavant, n’existe nulle part. »
L’art hispano-mauresque
L’art espagnol allait faire la conquête de toute la partie occidentale du Maghreb où les souverains furent de grands constructeurs. Comme ailleurs, les résidences palatiales ou les forteresses ont disparu, alors que les mosquées doivent leur survie à leur entretien par les services des biens habous.
Les Almoravides ont construit de nombreuses mosquées ou citadelles. Leurs principaux monuments subsistants se trouvent en Algérie : la grande mosquée d’Alger et la grande mosquée de Tlemcen ; ce sont de petits édifices avec une très riche décoration intérieure d’inspiration totalement andalouse. La mosquée Karaouyine de Fès fut également reconstruite par les Almoravides, elle est remarquable par ses dix coupoles toutes différentes.
L’art al Mohammed
Les Almohades voulurent traduire leur idéal de pureté dans leur art. Leurs monuments respirent la force, l’équilibre et l’austérité. L’originalité de leurs mosquées provient de l’exiguïté des cours, mais surtout de l’allure de leur minaret. Les trois grands minarets almohades de la Giralda de Séville, de la mosquée Hassan de Rabat et de la Koutoubiya de Marrakech dérivent du type de la mosquée de Kairouan, mais ils sont beaucoup plus élancés. Celui de Marrakech, le seul complet, atteint une hauteur de soixante-neuf mètres ; il est composé d’une haute tour de section carrée et d’un lanternon surmonté d’une coupole. Chaque face du minaret offre un décor différent composé d’arcs aveugles, de panneaux d’entrelacs… L’art almohade éclate aussi dans les portes de ville, qui jouaient non seulement un rôle de défense et d’accueil, mais servaient également de salle de réunion et de palais de justice : portes de la Casbah des Oudaïas et de Bab Rouah à Rabat et de Bab Agnaou à Marrakech. L’arc d’ouverture outrepassé est repris par plusieurs arcatures lobées qui donnent un effet de rayonnement. L’ensemble s’inscrit dans un encadre¬ment rectangulaire souligné par un bandeau d’écriture koufique.
Avec les Mérinides apparaissent les medersas et les zaouias construites pour un saint personnage. Les medersas ont un plan proche de celui des ribats : une cour centrale entourée de galeries, un oratoire et des cellules pour étudiants aux étages. Les plus belles sont les medersas el Attarin (1323-1325) et Bou Inaniya (1350-1357) de Fès, et la medersa d’Aboul Hassan à Salé (1341). Les quatre façades ouvrant sur la cour dévoilent un décor très raffiné.
L’art mérinide
Les mosaïques de faïence (zellija) occupent la partie inférieure ; le plâtre ciselé, le centre ; et le bois sculpté, la partie supérieure. Les panneaux de décor floral côtoient les panneaux où s’accumulent les formes géométriques et les bandeaux épigraphiques. Les zaouias comportent plusieurs éléments : tombeaux du saint et de ses proches, salle de prières, salle de cours, cellules pour les pèlerins ou étudiants, enfin un cimetière, à proximité.
L’Alhambra de Grenade
L’Alhambra (« la rouge ») est un ensemble de palais construits aux XIIIe et XIVe siècles par la dynastie nasride de Grenade. Admirablement situé sur les premiers contreforts de la Sierra Nevada, l’Alhambra frappe d’abord de l’extérieur par la puissance et la sobriété toute militaire des murailles et des hautes tours crénelées. Jamais le visiteur ne s’attendrait à y découvrir à l’intérieur un joyau de dentelles supportées par de fines colonnettes de marbre. Des dix palais musulmans, deux d’entre eux juxtaposés, le palais de Comares et le palais des Lionnes, forment le palais royal de l’Alhambra. Si l’architecture n’apporte rien de nouveau — on retrouve la disposition classique des pièces autour de vastes patios rectangulaires — le décor en revanche marque le triomphe du plâtre sculpté et de la céramique. L’ensemble produit un effet de raffinement extraordinaire. Devant tant de finesse et de grâce, on ne peut que s’étonner de la remarquable conservation d’un monument à l’apparence si fragile et rêver aussi sur les richesses fabuleuses que devaient détenir tant de palais disparus.
L’influence des Arabes sur l’Europe médiévale
C’est par l’Espagne et secondairement par la Sicile que des contacts féconds pour l’Europe s’établirent avec la culture musulmane. Dès le Xe siècle, la culture musulmane pénétra dans les monastères de Catalogne où les clercs venaient étudier les livres musulmans. L’ordre de Cluny se montra le plus avide de connaître la pensée musulmane. Un des premiers à se pencher sur la science arabe fut l’Auvergnat d’Aurillac, Gerbert (né en 938), qui devint pape en l’an 999 sous le nom de Sylvestre II. Il visita Al Andalous et étudia les mathématiques et l’astronomie dans un monastère de Rip- pol en Catalogne, puis il enseigna à Reims. Son exemple fut suivi et du Xe au XIIIe siècle un grand mouve¬ment de traduction de l’arabe au latin se manifesta en Espagne. L’Italien Gérard de Crémone (né en 1114) s’installa à Tolède pour apprendre l’arabe et il traduisit soixante-dix ouvrages scientifiques. Le Britannique Michael Scot (mort en 1232) traduisit Aristote et les Commentaires d’Averroès. De grands centres de traduction s’établirent dans l’Espagne chrétienne, principalement à Tolède où autour de l’évêque collaboraient des musulmans, des juifs et des chrétiens pour un travail de traduction très éclectique.
Les juifs ont joué un rôle capital dans la transmission de la culture musulmane, car ils étaient polyglottes. Moshe Sephardi, qui par sa conversion en 1106 devint Pedro Alphonso, recueillit des maximes et des contes arabes et indiens qui inspirèrent ensuite bon nombre d’auteurs chrétiens comme Chaucer ou Boccace. Pedro Alphonso vécut ensuite en Angleterre, où il devint médecin du roi et initia les Anglais à l’astronomie orientale et aux techniques (astrolabe). Rabi Abraham Bar Hyga (mort vers 1145), astronome, mathématicien et philosophe, diffusa depuis Barcelone la pensée musulmane. Rabi Abraham Bar Izza, traducteur de nombreuses œuvres en hébreu et en latin, dispensa l’enseignement de la science arabe dans plusieurs pays d’Europe.
Le monde chrétien est alors vivement intéressé par ce qui se passe au Sud. Alors que les musulmans, conscients de leur supériorité matérielle et culturelle, ne s’intéressent pas à l’Europe chrétienne, les cl en revanche, envient la culture et le niveau de élevé des musulmans. Roger II et Frédéric II c furent l’un et l’autre séduits par l’art de vivre man et régnèrent, entourés de fonctionna d’intellectuels musulmans.