L'art et la religion
L’art est, avant tout, création. Il ne peut donc se passer, comme référence ou comme modèle, explicite ou implicite, de la création par excellence, celle de Dieu. L’artiste, lui-même créature de Dieu, participe à la création divine, il ne peut en être le concurrent. Les rapports de l’artiste avec la nature sont donc, qu’il le veuille ou non, de caractère religieux.
La religion dont l’artiste s’efforce ainsi d’être prêtre est parfois très païenne, mais toute production artistique de qualité, par le fait même qu’elle exalte la beauté, s’apparente à un hymne de remerciement au Créateur.
La principale source d’inspiration artistique au cours de l’Histoire a d’ailleurs été religieuse : qu’il s’agisse des masques africains, véritables bits de culte, des statues des dieux grecs ou romains ou des monuments • marquent les civilisations tels que cathédrales, mosquées ou pagodes. La musique classique elle-même est, pour une large part, une forme d’expression religieuse.
On peut aller jusqu’à dire que tout art est l’expression d’une religion si l’on prend le terme de religion dans le sens le plus large, celui d’une conception de l’Homme. Il serait, à cet égard, intéressant de faire ce qu’on pourrait appeler la psychanalyse religieuse de certaines formes d’art contemporain pour déceler quel culte de l’Homme il révèle. En effet, si l’art est création, il est aussi expression. Tous les sentiments de l’homme, amour, révolte, désespoir, s’expriment par l’art, y compris parfois l’orgueil imbécile de l’artiste.
Le sens commun nous suggère cependant que toute création ou forme d’expression n’est pas de l’art ; il doit s’y ajouter une recherche de la qualité et de la beauté. C’est ce qui distingue la cuisine quotidienne de l’art culinaire. Mais comme la conception que l’on a de la qualité est de nature philosophique et culturelle, on y retrouve encore des éléments religieux.
C’est cette présence du religieux dans différentes formes d’art que nous allons passer en revue à présent.
Le chant et la musique
La vie est indissociable du rythme. Le temps qui nous entraîne est scandé par l’horloge céleste qui provoque les saisons : la lumière et l’électricité ont leur fréquence et notre cœur bat au rythme de nos émotions
Créer un rythme pour provoquer une émotion n’est pas propre à l’homme – le gorille effraie ses adversaires en se frappant la poitrine – mais provoquer les émotions les plus diverses par des rythmes variés a été, depuis le fond des âges, l’une des capacités remarquables de notre espèce. Cette sensibilité à la fréquence et à l’intensité sonore explique l’intarissable production artistique de toutes les civilisations.
Très tôt, l’homme a cherché à créer d’autres sons que ceux des vibrations de ses cordes vocales ; il a soufflé dans des roseaux, des cornes d animaux, des coquillages, il a provoqué des percussions sur des bambous, des tambours ou des gongs ; plus tard il a fait vibrer des cordes fixées à des caisses de résonance et il crée aujourd’hui des sons entièrement synthétiques.
Toutes les religions ont mis à leur service les ressources de cette prodigieuse création pour honorer les divinités mais aussi pour provoquer chez les fidèles un conditionnement favorable à la vie spirituelle.
Toutefois, l chant et la musique tiennent des places bien différentes selon les religi0ris.
Dans l’animisme africain ou le vaudou qui lui est apparenté, l’accent est mis sur la percussion dont le rythme lancinant provoque la danse et chez certains, la transe.
Le judaïsme orthodoxe ne glorifie Dieu que par la voix humaine ; tout accompagnement d’instruments de musique est prohibé dans les synagogues. Seul retentit à certaines fêtes le mélancolique appel à Dieu de l’officiant soufflant dans une corne de bélier, le chofar.
Le christianisme orthodoxe, dont les chants sont empreints d’une beauté solennelle, s’interdit lui aussi tout instrument de musique pendant la messe.
L’Islam ne tolère à la mosquée que la psalmodie des versets du Coran par l’officiant. Il s’agit d’un véritable chant strictement codifié. Parfois le récitant se bouche une oreille de la paume de la main pour mieux ressentir les vibrations de sa voix.
Les cérémonies bouddhistes comportent, elles aussi, la récitation chantée des textes sacrés, mais elle est pratiquée par l’ensemble des moines et est ponctuée de coups de gongs.
Les prières des temples hindouistes sont accompagnées, quant à elles, par d’assourdissants intermèdes musicaux avec usage de trompe, de tambour et de cloche.
Mais c’est incontestablement dans le christianisme, protestant et surtout catholique, que le rôle du chant et de la musique est le plus important et le plus diversifié. Les cloches pour appeler les fidèles, l’orgue des cérémonies solennelles, le modeste harmonium des petites paroisses accompagnent traditionnellement le culte. Prêtres et pasteurs s’évertuent à faire chanter leurs ouailles qui n’ont pas toujours le talent requis mais aiment à reprendre en chœur les chants de leur enfance.
Aujourd’hui, l’Eglise diversifie ses chants et sa musique : les couvents conservent la tradition du magnifique chant grégorien tandis que le tamtam fait son apparition dans les messes africaines et la guitare dans celles d’Europe. Parfois même prêtres ou pasteurs n’hésitent pas à se produire sur des scènes profanes pour y chanter des chants religieux : on se souvient du père jésuite Duval ou du pasteur John Littleton, Cette tradition de cohabitation des musiques religieuse et profane est très ancienne en Europe et une bonne part de la production des maîtres de la musique classique est délibérément religieuse (Oratorio e t Magnificat de Bach, messe et Te Deum de Haendel, Requiem de Mozart, Missa Solemnis de Beethoven, Ave Maria de Schubert…)
En Inde également une bonne partie de la musique classique est inspirée par la spiritualité ou les épopées mythologiques. En fait, la tradition veut que la musique soit d’origine divine, elle est le moyen de servir les dieux et de s’en approcher grâce à toutes les émotions qu’elle exprime.
richesse du rythme ( tala) et de la mélodie (raga) varie les voies d’accès -jadivinité et provoque même une sorte d’hypnose.
La danse
C’est l’art qui privilégie l’expression corporelle ; la danse peut être éctacle ou participation, elle est toujours accompagnée de chants ou de musique qui la rythment.
La danse tient un rôle central dans de nombreuses religions :
-En Afrique, des danseurs masqués miment les divinités de l’animisme, fréquemment symbolisées par des animaux.
_ Le culte vaudou ne peut se concevoir sans la danse : elle appelle le divinités et les fait « chevaucher » leurs fidèles qui tombent en transe.
– Dans le judaïsme, on se souvient de la danse de David devant l’Arche d’Alliance et, au cours de la fête de la «Joie de la Torah » les juifs dansent en tenant dans leurs bras les rouleaux de la Loi.
-En Islam, certains soufis expriment leur joie mystique par la danse, ce sont les derviches tourneurs qui subsistent encore, comme à Konya, en Turquie.
– Le christianisme a longtemps vu dans la danse le risque de faire tourner la tête des jeunes gens. L’Eglise, très méfiante envers la sensualité de la danse, a cependant récemment accepté des accompagnements dansés lors de certaines messes africaines.
– Dans le christianisme copte éthiopien, il existe de curieuses danses de prêtres au son d’une musique antique rythmée par des sistres.
– L’hindouisme privilégie la danse considérée comme exercice divin. On ne la pratique pas dans les temples au cours des célébrations religieuses quotidiennes, mais elle est constamment sous-jacente dans la mythologie et la culture religieuse. La danse classique indienne exprime par ses différentes attitudes, les Mudras, les sentiments des divinités. La codification rigoureuse de cet art remonte à un ancien traité sanscrit, le Natyas- hastra («les préceptes de la danse»), considéré comme un cinquième Veda.
Quant à Shiva, le dieu créateur et destructeur, il est souvent représenté comme Nataradja, le « Roi de la danse », et symbolise ainsi le mouvement du monde.
La peinture
Les plus anciennes peintures, sur les parois des cavernes qu’habitaient nos lointains ancêtres, avaient peut-être un rôle magique : l’artiste aurait cherché à jeter un sort sur les animaux pour mieux les chasser.
Dès la période historique, il existe une peinture religieuse à côté de la peinture profane mais son importance est très variable selon les cultures
Seul l’Islam interdit toute représentation des créatures de Dieu pour que l’homme ne se prenne pas pour l’égal du Créateur. La culture persane, musulmane mais chiite, a cependant maintenu la tradition de ses remarquables miniatures.
Pour illustrer le rôle religieux de la peinture, nous nous limiterons à deux exemples, celui de l’orthodoxie chrétienne et celui du bouddhisme tibétain.
L’Eglise d’Orient a connu, du Vlir au IX siècle, la sanglante querelle des iconoclastes. Peut-être sous l’influence de ses adversaires arabes, l’Empire byzantin prohiba comme idolâtre la représentation et la vénération des images du Christ, de la Vierge et des saints. En 843, l’impératrice Théodora rétablit définitivement les icônes Cet antique conflit a eu au moins pour effet de préciser la théologie sur le sujet des peintures sacrées.
Selon l’orthodoxie, les icônes ne sont naturellement pas des idoles, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas de nature divine, mais elles sont plus qu’une œuvre artistique dès lors qu’elles ont été bénies. Comme telles elles peuvent être miraculeuses. L’homme ayant été créé à l’image de Dieu, il est compréhensible qu’une image évoque et manifeste l’être représenté.
L’icône figure le mystère de l’incarnation par lequel Dieu s’est fait Homme en Jésus-Christ.
L’icône est aussi le support nécessaire à la prière que l’on trouve non seulement dans les églises et les lieux publics mais que les pieux orthodoxes emportent avec eux pour prier en voyage.
L’icône est une création religieuse qui exige que l’artiste soit aussi théologien. Le fameux peintre russe Andreï Roublev est d’ailleurs reconnu comme saint par l’Eglise orthodoxe : la perfection de ses œuvres était considérée comme inspirée par une sorte de vision mystique privilégiée.
Ainsi l’image n’exprime pas seulement la spiritualité de l’artiste, mais elle est aussi une révélation des mystères divins, elle témoigne du monde de l’au-delà. L’icône est le lieu de rencontre du culte et de la culture :
immuables mais, comme le culte, elle doit .suivre la tradition, tant des couleurs. De fait, après avoir été influencé depuis le XVI siècle par y t occidental, plus réaliste, les icônes sont revenues depuis peu aux ources de l’inspiration traditionnelle.
L’hindouisme et le bouddhisme tantriques, en particulier le lamaïsme tibétain, font un large usage d’une représentation du cosmos appelée jnandala. Il s’agit généralement d’une peinture, mais les temples eux- mêmes peuvent être construits selon un plan de mandala ; les plus célèbres sont ceux d’Angkor au Cambodge et de Borobudur à Java.
Le mandala peint sur toile, appelé tangka en tibétain, est d’un symbolisme particulièrement riche. C’est une visualisation de l’univers dont le centre est une divinité ou Bouddha lui-même. Son effigie est placée dans un carré ouvert sur chaque côté comme des portes situées aux quatre points cardinaux. Le carré est lui-même placé dans un cercle d’où le mandala tire son nom2. Le symbolisme du cercle évoque le retour indéfini des choses à leur point de départ, comme par exemple le cycle des réincarnations.
L’exécution des mandalas laisse place à la plus grande fantaisie, aussi bien en ce qui concerne le choix des divinités représentées que l’ornementation ou les couleurs. La seule constante est l’ordonnancement autour d’un point central représentant l’Absolu ou le divin.
Ajoutons que le mandala ne constitue qu’un exemple de la peinture d’inspiration religieuse du monde hindouiste et bouddhiste. La richesse de l’expression picturale s’exprime non seulement dans les temples mais aussi sur les parois de grottes comme à Ajanta, près de Bombay, ou au flanc de rochers comme à Sigiriya au Sri Lanka. Même lorsqu’elles sont érotiques, les peintures et les sculptures conservent toujours un contenu symbolique et religieux.