L'attente du Messie: Les écrits juifs
Les derniers écrits bibliques
Les textes bibliques les plus tardifs de l’Ancien Testament héritent évidemment de tous les rêves, tout le vocabulaire du passé ; l’ère messianique est alors décrite avec une profusion d’images selon le génie de chaque auteur. Aux jours du Messie, toutes les composantes de la vie du peuple juif seront portées à leur perfection : le peuple vivra enfin sans faille dans l’Alliance avec son Dieu et « la connaissance du Seigneur remplira le pays », comme l’avait déjà dit le premier Isaïe ; on ne connaîtra plus ni mal, ni souffrance, ni deuil ; Dieu aura créé les « cieux nouveaux et la terre nouvelle » selon les termes du troisième Isaïe (Isaïe 65, 17). Celui-ci annonce également que la ville de Jérusalem deviendra le point de ralliement de toutes les nations : « Je vais faire arriver jusqu’à Jérusalem la paix comme un fleuve, et, comme un torrent débordant, la gloire des nations » (Isaïe 66, 12). Et on imagine déjà une marée humaine dans la Ville sainte : « Vois tes enfants rassemblés du soleil couchant jusqu’au Levant par la parole du Saint car Dieu guidera Israël, dans la joie à la lumière de sa gloire, accompagné de la miséricorde et de la justice qui sont les siennes » (Baruch 5, 5… 9). C’est la finale du prophète Baruc qui est l’un des derniers livres de l’Ancien Testament. L’espérance concerne également le Temple : il sera appelé « maison de prière pour tous les peuples » (Isaïe 56, 7).
En dehors des textes bibliques proprement dits, nous connaissons encore deux sortes d’écrits juifs : les targoums, qui sont des traductions bibliques commentées et toute une littérature qu’on pourrait appeler de spiritualité.
Les targoums
En Palestine, on a parlé hébreu jusqu’à la destruction de Jérusalem par les armées de Nabuchodonosor, en 587 av. J.-C. et l’Exil à Babylone. Mais au retour de l’Exil une nouvelle langue a supplanté l’hébreu : c’était l’araméen, langue de la puissance occupante du moment. On a donc connu une situation de bilinguisme : l’hébreu à la synagogue, l’araméen dans la rue. Comme d’autres ont connu le latin à l’église et le
français en ville.
Pour que les textes bibliques soient compris par tous, on a alors pris l’habitude dans les synagogues de les lire une première fois en hébreu, puis une deuxième fois en araméen ; ce sont ces traductions en araméen qu’on appelle les « targoums » ; ils sont particulièrement intéressants pour nous parce qu’ils sont émaillés de commentaires dans lesquels l’attente du Messie tient une très grande place.
On y découvre par exemple que la prophétie d’Isaïe sur la pierre angulaire était déjà à cette époque appliquée au Messie, roi descendant de David : en hébreu Isaïe avait dit : « Ainsi parle le Seigneur Dieu : Voici que je pose dans Sion une pierre à toute épreuve, une pierre angulaire, précieuse, établie pour servir de fondation. » Le targoum traduit: « Ainsi parle le Seigneur Dieu : Voici que j’établis dans Sion un Roi, un Roi puissant, héroïque et terrible. »
Autre exemple, le magnifique texte intitulé « Le poème des quatre nuits » qui est le targoum d’un verset de l’Exode concernant la nuit pascale : « Quatre nuits sont inscrites dans le livre des Mémoires. La première nuit, quand le Seigneur se manifesta sur le monde pour le créer… La deuxième nuit, quand le Seigneur apparut à Abraham… La troisième nuit, quand le Seigneur apparut aux Égyptiens au milieu de la nuit… Sa droite protégeait les premiers-nés d’Israël… La quatrième nuit, quand le monde arrivera à sa fin… Moïse montera du milieu du désert et le Roi Messie viendra d’en-haut » (Targoum d’Exode 12, 42 extraits).
La littérature juive extra-biblique
En dehors de toute intention de traduction, on connaît également de nombreux écrits juifs dans les siècles qui ont précédé la venue de Jésus de Nazareth. Grâce à eux, nous percevons mieux quelle était la vigueur de l’espérance messianique dans le monde juif et quelles images du Messie soutenaient cette espérance.
Cette littérature juive d’après l’Exil est très abondante, et surtout bien connue depuis les découvertes de très nombreux écrits bibliques et extra-bibliques dans les grottes du bord de la mer morte à Qumran.
Pour ne citer qu’un exemple, voici un extrait des « Psaumes de Salomon », un texte répandu dans le milieu des Pharisiens et certainement lu dans les synagogues ; on le date des années 50 av. J.-C. :
« Vois, Seigneur, et suscite pour eux leur roi, fils de David, au temps que tu connais, ô Dieu, pour qu’il règne sur Israël ton serviteur… Alors il rassemblera le peuple saint, qu’il conduira avec justice ; il jugera les tribus du peuple sanctifié par le Seigneur son Dieu ; il ne laissera plus l’iniquité séjourner au milieu d’eux, et aucun homme habitué au mal n’habitera plus avec eux… Il jugera peuples et nations selon la sagesse de sa justice…
Il ne faiblira pas durant ses jours grâce à son Dieu, car Dieu l’a rendu puissant par son esprit saint et sage par son conseil plein d’intelligence, avec force et justice. Il paît le troupeau du Seigneur avec foi et justice ; et il n’en laissera pas de malades dans leurs pâturages… Telle est la majesté du roi d’Israël… Le Seigneur est notre roi, éternellement et à jamais » (Psaume de Salomon 17, 23).
« Que Dieu purifie Israël par sa bénédiction pour le jour de miséricorde, pour le jour choisi où il suscitera son Messie ! Heureux ceux qui vivront en ces jours-là afin de voir les biens que le Seigneur accomplira pour la génération à venir, sous le sceptre correcteur du Messie du Seigneur, dans la crainte de Dieu, de manière à les établir tous en présence du Seigneur comme une génération bonne par crainte de Dieu, aux jours de la miséricorde ! » (Psaume de Salomon 18, 6-10).
Quand on parcourt la littérature juive des siècles qui ont suivi l’Exil à Babylone, on constate donc une recrudescence de l’attente messianique ; elle est très diverse, mais présente dans tous les courants de pensée ; c’est un grand élan qui traverse toutes les communautés juives. La longueur de l’attente ne décourage visiblement pas les croyants !