Le judaïsme : Le Talmud
Peut-être davantage que la Torah, le Talmud a joué un rôle déterminant dans la formation de la pensée juive. Loin d’avoir la rigueur d’un texte de loi ou même d’un livre conçu d’une seule pensée, le Talmud est un immense recueil de textes disparates écrits par plus de douze mille rabbins qui se sont efforcés, au cours d’un millénaire, d’expliquer la Loi, de la commenter, de l’adapter aux contraintes de la vie quotidienne. Aussi trouve-t-on un grand désordre dans ce livre qui apporte sur de nombreuses questions non pas des réponses définitives mais souvent des opinions multiples et parfois contradictoires. Et c’est sans doute cette capacité à analyser les textes, à leur trouver des interprétations ou des adaptations nouvelles, à trouver des échappatoires aux problèmes les plus insolubles, qui a eu pour résultat de développer à l’excès la subtilité de l’esprit juif. Cette étonnante liberté de disserter, d’analyser que l’on retrouve dans le Talmud ne se retrouve pas dans les commentaires chrétiens de la Bible ou dans ceux du Coran développés par les théologiens musulmans.
Des charrettes entières de Talmud furent d’ailleurs brûlés à Paris sous le règne de Saint Louis et encore à Rome au XVIe siècle par décret de l’inquisition. C’est que l’esprit talmudique est complètement opposé à la rigide pensée unique romaine et même au cartésianisme latin. Pour André Chouraqui (1965) « la démarche intellectuelle que constituent la lecture et l’approfondissement d’une page du Talmud, vise essentiellement à briser les cadres de la pensée logique et rationnelle. […] Pour le talmudiste, la connaissance intellectuelle éclot en intuition spirituelle qui peut aboutir, chez les meilleurs, au pur silence contemplatif ».
Le Talmud s’articule sur deux catégories de textes bien distincts : ceux de la Michna et ceux de la Guemara. La Michna est constituée par les lois traditionnelles recouvrant tous les aspects de la
législation civile et religieuse. Elle est divisée en six thèmes : la terre, le temps, le féminin, la société, le sacré et la mort. Ces thèmes sont eux-mêmes divisés en traités et en chapitres au nombre total de cinq cent vingt-quatre. Ces lois concernent aussi bien les règlements relatifs à la liturgie que les mélanges alimentaires lactés-carnés, les croisements de bestiaux prohibés, les taxes annuelles à verser au trésor du Temple ou les crimes encourant la flagellation. On le voit, les thèmes abordés sont variés.
La deuxième catégorie de textes du Talmud est constituée par la Guemara qui n’est qu’un commentaire de chacune des divisions et subdivisions de la Michna. Mais il ne faut pas s’attendre à trouver dans la Guemara une analyse rationnelle et systématique des articles de lois tel que la présenterait un traité de jurisprudence. Si quelques lignes de la Michna ont couramment vingt à trente pages de commentaires, ceux-ci prennent plutôt l’allure d’une digression relevant davantage de la rêverie basée sur l’association d’idées que sur l’analyse rationnelle. La Michna cite souvent plusieurs opinions opposées et parfaitement contradictoires sans prendre position. Le commentaire de la Guemara analyse ces contradictions, évalue la cohérence de chaque proposition, en recherche les fondements et les conséquences jusqu’à élucider complètement le sujet mais sans l’épuiser pour autant : « Le texte écrit doit rester une matrice de prises de décision futures ». Bref, il n’est jamais question d’un sujet « définitivement clos ».
Mais comment évaluer l’influence de cette première dialectique sur le « développement » du peuple juif ? Si elle a permis incontestablement l’éclosion de nombreux et brillants esprits, elle n’a pu empêcher les brimades, les pogroms et les multiples souffrances du peuple élu. Devant de telles contradictions, peut-être convient-il aussi de s’adonner à la seule contemplation ! A moins que l’explication de la réussite israélienne ne réside dans une nouvelle approche de la religion inaugurée par un autre penseur juif, un certain Sigmund Freud.