Le réveil arabe et naissance des nationalismes musulman et arabe (milieu duXIX siècle – 1918)
La renaissance littéraire (Nahda)
Le liban berceau du renouveau culturel
A Beyrouth, arrivèrent vers 1820 des missionnaires protestants américains qui ouvrirent des écoles et créèrent des imprimeries. En 1866, ils fondèrent le « Syrian Protestant Collège », noyau de la future université américaine. Les missions catholiques s’installèrent aussi, en particulier celle des jésuites, qui ouvrirent l’université Saint-Joseph. Leurs premiers élèves furent naturellement des Arabes chrétiens, mais ceux-ci fondèrent à leur tour des écoles libanaises et créèrent des cercles d’études qui servirent au rapprochement des chrétiens et des musulmans autour du souvenir de la splendeur passée de la civilisation arabe musulmane. Le Liban fut le principal foyer culturel du monde islamique. Les lettrés libanais se penchèrent avec passion sur l’étude de la langue arabe et de la littérature arabe classique. Nasif Yaziji (1800-1871), catholique de rite grec, grand philologue et pédagogue, joua un grand rôle dans la restauration de la langue. Son fils Ibrahim (1847-1906), philologue et juriste, travailla sur la terminologie arabe moderne et édita des revues. Boutros Bustami (1819-1883), chrétien maronite converti au protestantisme, traduisit une partie de la Bible en arabe, mais fut surtout l’auteur d’un remarquable dictionnaire arabe, Circonférence de l’océan, et d’un abrégé, Diamètre de l’océan. Il fonda le « Collège national » de Beyrouth (1863), publia des journaux et des revues; puis entreprit une grande encyclopédie qui fut continuée par sa famille, « véritable dynastie de professeurs, grammairiens, essayistes et éditeurs libanais ».
D’autres Libanais, comme Faris al Chidyaq (1804-1887), œuvrèrent pour faire de l’arabe une langue moderne. Des sociétés littéraires virent le jour, un enseignement scientifique moderne fut mis en place. Un grand effort fut fait également en Égypte où domine le nom de Rifaah al Tahtawi (18Ô1-1873). Celui-ci fut l’un des trois cents boursiers envoyés en France par Méhémet Ali. Il séjourna cinq ans à Paris, puis de retour au pays, occupa plusieurs postes de directeur de grandes écoles. Il écrivit une œuvre considérable {La beauté de la grammaire, Les voies des cœurs égyptiens vers les joies des mœurs contemporaines..), dans laquelle ressort son désir d’intégrer l’apport culturel de l’Europe contemporaine à la renaissance de l’Egypte. Des traductions d’œuvres françaises furent faites par Mustapha el Manfalouti ou Othman Jalal (1829-1898) qui adapta plusieurs comédies de Molière. Toute une littérature nouvelle naquit.
Le nationalisme islamique et arabe
Le nationalisme islamique
Il est né de la confrontation avec la supériorité matérielle, technique et intellectuelle de l’Europe colonisatrice. Il s’agit de transformer l’homme arabe, de lui redonner le goût du combat pour qu’il sorte de la condition humiliante de colonisé. Dès le départ, on décèle nettement deux courants :
- Les « radicaux » ou « modernistes libéraux »estiment que l’islam est responsable du déclin du monde musulman et qu’il faut en conséquence briser l’emprise de la religion sur l’économique et le politique. Ils veulent imiter l’Occident, adopter ses modes de vie et ses méthodes économiques pour mieux parvenir à se détacher de lui. L’un d’eux, Rifaah al Tahtawi, proclame : « Que la patrie soit le lieu de notre commun bonheur que nous bâtirons par la liberté, la pensée et l’usine. » Ce courant eut beaucoup d’adeptes en Égypte, dans l’Empire ottoman et en Inde où Sayyid Ahmed Khan (né en 1817) fonda l’université d’Aligahr, où l’enseignement était proche de celui d’Oxford et de Cambridge.
- Les « réformistes » veulent quant à eux concilier religion et modernisme. Réfutant l’idée que l’islam est la cause du retard économique sur l’Europe, plusieurs penseurs estiment au contraire qu’il faut revenir au Coran pour retrouver la grandeur passée.
Djamal ed Din al Afghani (1839-1897)
Il fut le premier ministre d’un prince afghan avant de quitter son pays en 1869 pour parcourir le monde musulman en prêchant le panislamisme. Il dénonce les dangers qui menacent l’Islam : l’impérialisme européen, les dirigeants musulmans féodaux qui empêchent toute modernisation de leur pays, l’introduction des idées athées…, et il propose en revanche le retour au Coran débarrassé de tous les commentaires qui l’ont obscurci, l’adoption du progrès technique européen, la lutte contre le fatalisme et la reconnaissance de la liberté et de l’intelligence. Ce combattant politique a exercé une énorme influence sur le Moyen- 220 Orient et on a fait de lui le père du panislamisme.
Mohammed Abdoh (1849-1905)
Il fut le principal disciple d’Al Afghani. Il vécut en Égypte où il essaya surtout de réformer l’enseignement religieux supérieur. Ce fils de paysan fit des études à Al Azhar et soutint la lutte d’Al Arabi, ce qui lui valut un exil de six ans qu’il occupa à voyager (Paris, Londres, Tunis). Nommé à Al Azhar en 1892, il prépara la réforme des conditions d’entrée à l’université et celle du contenu de l’enseignement (introduction des mathématiques, de l’histoire, de la géographie) et des examens, mais il n’obtint pas les résultats espérés. Il a surtout contribué à faire prendre conscience de la nécessité d’une réforme profonde fondée sur un retour au Coran et à l’islam des débuts, mais aussi sur une ouverture aux techniques et aux sciences modernes. Il estime que le véritable islam n’est pas en contradiction avec la science moderne. Il est à l’origine du mouvement des salafiyyah (« tradition des ancêtres ») qui veulent moderniser la communauté en préservant le fond islamique. Leurs idées se retrouvent dans les mouvements nationalistes d’Ibn Badis en Algérie et d’Allal al Fassi au Maroc.
Le mouvement réformiste indien
L’initiateur fut Shah Walli Allah (1703-1762) qui, par réaction contre la conquête européenne, prêcha le retour à la religion primitive, mais le plus grand réformateur indien fut Mohammed Iqbal (1873-1938), « le père spirituel de la nation pakistanaise ». Il est tout imprégné d’esprit occidental à la suite de ses séjours en Angleterre et en Allemagne, mais il rêve d’une démocratie qui s’alimenterait dans les exemples de la communauté de l’époque du Prophète et des premiers califes.
Rachid Rida (1865-1935)
Né au Liban, il découvrit Al Afghani et Abdoh qu’il vint rejoindre au Caire en 1897. Il se consacra jusqu’à sa mort à la rédaction de la revue Al Manar (« Le Phare »), dans laquelle il publia un commentaire du Coran pour y trouver toutes les réponses aux problèmes du monde contemporain.
La fierté d’avoir renoué avec la littérature arabe de l’âge d’or devait tout naturellement conduire à la volonté d’émancipation sur le plan politique.
Le nationalisme arabe
Le nationalisme arabe naquit plus tôt chez les Arabes chrétiens, car ils avaient reçu une influence européenne beaucoup plus forte. Ils revinrent à l’histoire arabe, constatèrent que la nation arabe fut une des plus brillantes de l’histoire et estimèrent que les chrétiens arabes, ayant participé nombreux à l’élaboration de cette civilisation, devaient en être fiers et donc s’unir aux musulmans pour participer à la renaissance de la nation arabe. Ibrahim Yaziji lança l’appel : « Arabes, réveillez-vous ! » et il écrivit une « Ode au patriotisme » où il prônait l’insurrection arabe contre l’oppression ottomane et chantait les qualités des Arabes.
Le nationalisme islamique fit place à un nationalisme arabe chez beaucoup de penseurs syriens à l’époque du régime autoritaire d’Abdelhamid II. Abderrahman Kawakibi (1849-1903), musulman syrien qui vécut réfugié en Égypte, dénonça la légitimité du sultan ottoman comme calife, car tous les livres de droit de l’époque classique insistaient sur la nécessité d’appartenir au clan qoraishite pour accéder au califat. Il fit une différence essentielle entre peuples musulmans arabes et non arabes. Un autre farouche partisan d’un État arabe indépendant fut le chrétien Najib Azuri qui vécut surtout à Paris, où il fonda l’éphémère « Ligue de la Patrie Arabe », publia Réveil de la nation arabe (1905) et fonda une revue, L’indépendance arabe.
La révolution de 1908 provoqua l’éclosion de multiples sociétés et comités. Les « Jeunes Turcs » au pouvoir commirent l’erreur, après avoir proclamé l’égalité de toutes les nationalités de l’Empire, de se lancer dans une politique de turquisation qui excita naturellement les « Jeunes Arabes ». Un premier congrès national arabe se tint à Paris en 1913. Les nationalistes arabes ne voyaient leur indépendance qu’au terme d’une longue évolution ; or, la première guerre mondiale va accélérer l’histoire et précipiter le monde arabe dans la crise.
La révolte arabe
Comme l’Empire ottoman prit ouvertement parti pour les Empires centraux dès 1914, l’Angleterre décida de 222 se servir du nationalisme arabe. Même si l’idéologie n’était pas bien nette et même s’il n’y avait pas de chefs bien apparents, elle n’hésita pas à brusquer les événements et à implanter l’arabisme comme force importante au Moyen-Orient. Mais l’Angleterre prit plusieurs engagements contradictoires très lourds de conséquences pour l’avenir.
La promesse d’un royaume arabe
Une dizaine de lettres sont échangées de juillet 1915 à janvier 1916 entre le haut-commissaire anglais en Egypte, Mac-Mahon, et le chérif de La Mecque, Hussein de la famille des Banu Hashim. Un accord intervient en vertu duquel l’Angleterre lui promet la couronne d’un « grand royaume arabe dans le vaste domaine compris entre le Taurus, le golfe Persique, l’océan Indien, la mer Rouge et la Méditerranée », en échange du soulèvement militaire des Arabes contre les Turcs. Des agents britanniques comme Lawrence du « Colonial Office » se font les artisans de cette politique. Une armée arabe dirigée par Fayçal, fils d’Hus- sein, est formée, passe à l’action le 5 juin 1916 et participe à la prise de Damas aux côtés des Anglais en 1918.
Lesaccords Sykes Pict-Sazonov(1916)
En même temps, l’Angleterre n’hésita pas à aborder avec ses alliés français et russes des négociations sur le sort des provinces ottomanes après la guerre. La France obtiendrait la Syrie et la haute Mésopotamie, partie en administration directe, partie en zone d’influence ; l’Angleterre aurait l’Irak et la Palestine sur le même principe, et la Russie, l’Anatolie. Jérusalem serait internationalisée.
La déclaration Balfour ( 2 Nouvembre 1917)
L’Angleterre compliqua encore la situation en déclarant par le biais d’une lettre de Lord Balfour, secrétaire d’État au Foreign Office, à Lord Rothschild, président de la Fédération sioniste, que « le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un « foyer national » pour le peuple juif et emploiera tous ses efforts pour la réalisation de cet objectif […] ». L’Angleterre a donc pris des engagements contradictoires qu’elle considère comme autant d’atouts dont elle pourra disposer après la victoire.