Les omayyades
Les problèmes des terres conquises, des impôts et des nouveaux convertis
Les privilèges des arabes
Après la conquête, les terres conquises furent classées en deux catégories : celles (la majeure partie) qui furent laissées à leur ancien propriétaire, celles qui fuient confisquées (terres d’État, d’Église ou appartenant à des propriétaires fuyards ou disparus). Elles lurent distribuées en concessions (qati’a) à des familles arabes qui purent ainsi constituer de grands domaines. On a retrouvé les traces de grandes propriétés en Syrie, véritables oasis reposant sur des systèmes d’irrigation comprenant barrages, canaux, norias, etc.
Les propriétaires autochtones devaient payer un impôt foncier (kharaj) qui était la continuation de l’impôt foncier antérieur. Les propriétaires musulmans n’étaient soumis qu’à la dîme (zakat). Les conversions Miraient dû permettre le passage du kharaj à la dîme ; nr, cette modification fut généralement impossible, car on avait maintenu les anciens systèmes de responsabilité collective des communautés rurales face à l’impôt et, en outre, l’État aurait ainsi perdu une grande partie de ses ressources financières. Quand les conversions se multiplièrent, des problèmes graves apparurent : ainsi, on vit des fuites de paysans en Égypte, des désertions si importantes en Irak qu’ Al llajjaj renvoya dans leur village d’origine tous les fuyards qu’il saisissait et il interdit les conversions, situation pour le moins paradoxale. Finalement, sous Omar II, on distingua l’impôt sur la terre (kharaj) qui était définitif et une capitation qui cessait avec la conversion. Le système de perception fut copié sur les anciennes administrations perse ou byzantine.
Le mécontement des nouveaux convertis
Les nouveaux convertis (mawali) furent mécontents, car avec la conversion, ils s’attendaient à être considérés comme les égaux des Arabes ; or, dans tous les domaines, l’inégalité subsistait : dans l’armée, leur solde était moins élevée ainsi que la part de butin, certaines fonctions leur étaient même interdites. De plus en plus nombreux, ils prirent conscience de leur force et cherchèrent des cadres pour exprimer leur mécontentement, ce fut souvent le shiisme, parfois le kharijisme, plus tard le mouvement abbasside.
La vie littéraire
La rencontre avec les Églises chrétiennes ou zoroastriennes oblige les musulmans à préciser leur foi, à défendre certains points du dogme, bref à développer une véritable théologie islamique. Les Arabes entrent en contact aussi avec la philosophie et les sciences grecques et entreprennent un travail de traduction.
La floraison poétique
La vie littéraire rayonne toujours par la poésie qui reste le moyen d’expression privilégié de l’âme arabe. La poésie connut une éclipse après le triomphe de l’islam. Il lui manquait le cadre tribal, les joutes poétiques d’Ukaz ou la chaleur de la cour d’Al Hira. Le Prophète qui avait souffert au début de la révélation d’être traité de devin ou de poète n’était d’ailleurs pas tendre avec les poètes. L’un d’eux, Kaab ibn Zuhair, essaya de se racheter avec son « Ode au manteau ». Après ses succès, le Prophète s’attacha pourtant les services d’un poète officiel, Hassan ibn Thabit.
La poésie fleurit à nouveau à l’époque omayyade. Les thèmes n’ont pas changé mais on voit apparaître une poésie officielle engagée, où on se livre à une guerre d’épigrammes et de satires. L’époque est marquée par les trois « géants » : Akhtal (mort entre 705 et 715), Djarir (mort vers 733), Farazdaq (mort vers 733). Akhtal est un chrétien de la tribu des Taghlib, grand buveur de vin, chantre des Omayyades et des Qoraishites contre les Médinois ; Djarir, installé auprès du gouverneur, Al Hajjaj d’Irak, se fait le panégyriste des Médinois et chante la grandeur de l’Islam ; Farazdaq, le grand ennemi de Djarir, mena une existence dépravée à Basra et dans sa poésie défendit la cause alide.
Trois autres poètes ont chanté l’amour courtois, la passion pour une seule femme, si bien qu’ils sont inséparables de leur muse : Madjnun (Laïla), Djamil (Bu- thaina), Kuthaiyir (Azza), tandis que Omar ibn Abi Rabia et le poète calife Al Walid II chantent l’amour frivole, l’érotisme et la débauche.
La naissance de la prose
Une prose arabe de qualité apparaît à la fin de la période chez Abd al Hamid Yahya (mort en 750), auteur de « l’épître aux secrétaires » et surtout chez Abd Allah ibn Muqaffa, auteur de plusieurs épîtres, mais surtout traducteur en arabe des fables indiennes de Bidpay qui devaient connaître un immense succès sous leur titre de Kalila et Dimna et un retentissement universel puisque La Fontaine, par exemple, devait s’en inspirer.
La naissance de l’art musulman
Les Arabes n’avaient aucune tradition artistique, mais comme ils étendirent leurs conquêtes sur des régions aux très anciennes civilisations, ils leur empruntèrent plusieurs éléments. Cependant, en apportant une religion qui imprègne entièrement la vie du fidèle, ils créèrent un nouveau style d’architecture et de décor adapté à leurs exigences religieuses ; ensuite, très vite, l’art religieux influença l’art privé. G. Marçais écrit fort justement : « Ayant pour berceau cette Asie occidentale qui vit s’épanouir les civilisations les plus vénérables, l’art musulman a recueilli leur héritage, mais il y a fait son choix et a digéré les éléments qu’il en conservait. »
L’origine de la mosquée
Le premier lieu de prière musulman fut la maison du Prophète, à Médine, constituée par plusieurs chambres s’ouvrant sur une cour à ciel ouvert. Pour la prière du vendredi, le Prophète fit ajouter sur un côté un portique fait de troncs de palmiers et recouvert de palmes. Un ouvrage de bois formant tribune servait de chair à prêcher au centre du mur orienté vers La Mecque (qibla). Les premières mosquées de Kufa, Basra, etc. suivirent ce plan carré et on n’accordait alors aucun intérêt à la beauté de l’édifice. La mosquée a pour but de rassembler la communauté pour la prière en commun du vendredi.
L’art Omayyades
L’art musulman naît avec les qui font travailler des artistes et artisans syriens ou coptes si bien que l’apport byzantin est considérable. Divers éléments vinrent s’ajouter pour donner à la mosquée son aspect original.
De l’extérieur, le périmètre de l’édifice religieux est marqué par un mur d’enceinte plein. L’intérieur s’ouvre sur une cour entourée de portiques élevés pour prodiguer une ombre bienfaisante. En son centre, une vasque ou fontaine permet aux fidèles de faire les ablutions obligatoires avant l’accomplissement de la prière. La salle de prières est divisée en plusieurs nefs par des colonnes. Les architectes syriens surélevèrent le vaisseau central ainsi que la travée longitudinale parallèle au mur de la qibla de sorte que l’on retrouva un plan en T, dans lequel certains voient Je souvenir du transept chrétien. Le mihrab (« niche ») situé au centre du mur de la qibla indique la direction de La Mecque, mais il est aussi le reflet des absides d’églises chrétiennes ou des salles d’audiences de palais byzantins, pense Sauvaget, alors que Papadopoulo y voit « la forme symbolisant la présence physique de Mohammed dans sa maison… Le mihrab symbolise donc, en la suggérant, la présence du Prophète lui-même, récitant du Verbe divin et donc de Dieu lui-même à travers lui ; il est Je,moule en creux de cette présence ». Le mihrab est l’endroit le plus décoré de la mosquée. Itest généralement surmonté d’une coupole.
À droite du mihrab se dresse la chaire à prêcher (min- bar) du haut de laquelle l’imam prononcevle prône du vendredi. À proximité se situe parfois une balustrade (maqsoura) qui délimite un endroit réservé au calife ou à l’émir dans un souci de sécurité.
Le minaret joue ,1e même rôle que <clocher dans les eglises pour l’appel à la prière. À Damas, on se servit d’abord des quatre tours d’angle de l’enceinte romaine, puis on adopta’ le minaret unique. Lg minaret continuait aussi la tradition des tours de guet et de signalisation répandues dans tout le Moyen-Orient.
Les monuments religieux omayyades
Les monuments Le plus ancien monument musulman conservé sans religieux modification jusqu’à nos jours est le Dôme du Rocher omayyades (Qoubbat al Sakhra), improprement appelé mosquée d’Omar, édifié à Jérusalem sous Abd al Malik de 688 à 691. C’est un édifice octogonal dont la coupole s’élève au-dessus de l’endroit où aurait eu lieu le sacrifice d’Abraham. Construit par des architectes et artistes byzantins, il reprend parfaitement les dispositions des églises byzantines à plans centraux ou des martyriums chrétiens. La coupole construite en bois suivant la méthode byzantine est revêtue de plomb et de cuivre à l’extérieur, de mosaïques à l’intérieur. Élevé à une époque où La Mecque était tenue par Abd Allah ibn Zobair, ce monument était peut-être destiné par Abd al Malik à devenir un lieu de pèlerinage.
La mosquée de Médine fut entièrement reconstruite par Al Walid en 706, sur un plan rappelant en gros celui de la maison du Prophète, mais avec une salle de prières plus large, des portiques tout autour de la cour et quatre minarets. Le tombeau du Prophète se trouve dans la partie orientale.
La Mosquée de Damas
L’édifice le plus prestigieux laissé par les Omayyades est la grande mosquée de Damas, qui devait servir de modèle à la plupart des grandes mosquées du Proche-Orient. Elle fut construite de 706 à 715 par Al Walid, dans une enceinte antique, où on avait élevé un temple romain dédié à Jupiter, puis la basilique Saint- Jean-Baptiste. La mosquée occupe un vaste rectangle de cent cinquante-sept mètres sur quatre-vingt-dix-sept mètres. La salle de prières comporte trois vaisseaux perpendiculaires au mur de la qibla. Des colonnes et chapiteaux antiques supportent des arcs en plein cintre outrepassés et surhaussés. Le vaisseau central conduisant au mihrab est porté par des piliers. La décoration de marbre et de mosaïques était somptueuse, afin, dit Muqqadasi, de détourner l’attention des musulmans des édifices chrétiens. Dans la vaste cour bordée de portiques se situe, dans l’angle nord-ouest, un petit édifice à deux étages couvert d’une coupole qui servait de trésor d’État. À ce moment-là, la mosquée était non seulement salle de prières, école de théologie, salle de justice, trésor public mais sa cour était aussi « le rendez-vous des habitants de la ville, leur lieu de promenade et de délassement. Chaque 42 soir, on les voit aller et venir de l’est à l’ouest… » (IbnDjubair, cité par Papadopoulo). À Jérusalem, Walid Ier construisit aussi la mosquée El Aqsa, qui fut reconstruite sous l’Abbasside Al Mahdi et qui fut plusieurs fois modifiée.
L’architecture civile les (château du désert)
À partir de Walid Ier, les souverains omayyades quittèrent Damas, qu’ils n’aimaient pas beaucoup, pour habiter des « châteaux du désert » ; en fait, de belles résidences entourées d’oasis remontant à l’époque romaine ou byzantine. Ils présentent, à l’extérieur, de hauts murs de pierre et de brique flanqués de tours massives, tandis que les pièces ouvrent, à l’intérieur, sur une cour centrale à portiques. Ce sont parfois les traditions byzantines qui triomphent, parfois les traditions sassanides avec des voûtes et des coupoles. Le décor intérieur est varié et très riche comportant en particulier de remarquables peintures d’inspiration byzantine. Les résidences disposaient toujours de bains et ôtaient agrémentées de magnifiques jardins. Les plus connus sont Mchatta (résidence de Walid II), Qasr al Haïr Occidental (al Gharbi) et Qasr al Haïr l’Oriental (al Charqi), Qousayr Amra, Qastal et Khirbat al Mafjar.
Etant donné l’immensité de son espace géographique, l’art musulman a sécrété des types d’édifices différents (|ui ont permis de définir des « écoles » régionales. Cet art a, en outre, évolué dans le temps. On peut cependant déceler un air de parenté entre tous les monuments musulmans, dû à un certain nombre de conditions que nous pouvons relever dès maintenant :
Conditions géographiques
Un art de pays aride
L’aire géographique occupée par le monde islamique a un climat marqué par la chaleur, la luminosité, la ra- ii-lc des pluies, si bien que l’on peut accorder une K.rande importance aux espaces découverts, aux cours entourées ou non de portiques. Il en découle aussi la place considérable donnée à l’eau, aux bassins, aux vasques, aux eaux vives qui circulent dans les jardins. I,intensité du soleil a conduit les architectes à créer des masses simples avec des façades nues ou pourvues d’un décor en faible relief. Contre la chaleur, on retour à l’utilisation de matériaux frais comme la céramique et le marbre ; on a parfois aménagé des pièces souterraines pour l’été. La rareté des pluies explique l’emploi de matériaux fragiles comme la brique crue ou cuite, le plâtre ou le stuc, le bois qui ne résisteraient pas sous d’autres climats.
Conditions sociales
Un art princier
L’art musulman est le plus souvent un art, princier non un art populaire. Les mosquées, écoles, monuments publics tout comme les palais et forteresses sont les fondations d’un souverain ou d’un « grand ». L’artiste est un exécutant qui travaille dans l’anonymat pour glorifier un prince. Les chefs d’État musulmans ont toujours été de grands bâtisseurs ; ils ont tenu à commémorer leur vie par une œuvre, mais, par une sorte de superstition, ils se sont presque toujours refusé à habiter dans la résidence de leur prédécesseur. Beaucoup de palais ont ainsi sombré dans l’indifférence et disparu sans laisser de traces, sinon dans les œuvres littéraires qui en parlent. Les mosquées et édifices religieux furent au contraire entretenus, souvent remaniés et sont ainsi parvenus jusqu’à nous.
Conditions religieuses
Un art religieux
L’art musulman s’exprime d’abord dans la mosquée, il est au service du culte. Les palais, les collèges, les hôpitaux s’inspirent ensuite de l’art des mosquées. La religion a profondément marqué l’art. L’interdiction contenue dans le Coran de toute représentation de Dieu a conduit les musulmans les plus rigoristes à proscrire toute représentation des hommes et des animaux. Ce refus de représenter la figure humaine ou animale a conduit les artistes à se détourner de l’observation du monde. L’art musulman est ainsi un art essentiellement non réaliste, non figuratif. Des représentations réalistes ont pourtant existé à certaines époques ou dans certains milieux, mais en général le décor est assez abstrait.
Le décor
La suprématie du décor
C’est le décor qui donne à l’art musulman son unité générale mais c’est lui aussi qui définit les variantes régionales. Le décor est en méplat, c’est-à-dire appliqué par plans parallèles très proches les uns des autres. L’art musulman est un art de surface et non de volumes. La sculpture proprement dite n’existe pas. L’essentiel consiste à revêtir des surfaces planes en détachant les éléments décoratifs sur un plan ou en procédant par incrustation. On peut distinguer trois catégories de décor :
- Le décor géométrique où l’artiste laisse travailler la règle et le compas en un pur jeu de courbes et de segments.
- Le décor floral qui emprunte ses motifs à la nature, mais qui les stylise à un point tel qu’ils n’ont presque plus de rapports avec la réalité. C’est l’arabesque « stylisation d’ornements végétaux » composée de la tige qui constitue le support et des feuilles. L’entrelacs est au contraire une forme purement géométrique qui peut atteindre une grande complexité. « Avec l’arabesque et les entrelacs, écrit Marc Bergé, on entre dans un monde enchanteur, ensorcelant, comparable dans son pouvoir à la magie du verbe, pour peu que, pris par le décor, on veuille obstinément suivre dans sa complexité un thème végétal ou géométrique pour tenter de trouver le fil d’Ariane. » Dans l’art arabe, l’esprit mathématique, abstrait et illimité l’emporte sur le sens plastique et affectif, alors que ce dernier domine dans l’art occidental.
La prééminence de l’écriture
- Le décor épigraphique qui est lui aussi très abstrait est très répandu dans les créations musulmanes. Il consiste à représenter les lettres arabes suivant deux styles : koufique, où les lettres ont un tracé rectiligne et anguleux, ce qui leur donne un caractère monumental et cursif ; naskhi, où les lettres dessinent des courbes sinueuses ressemblant à un geste naturel.
La calligraphie est un art purement arabe et elle deviendra un art majeur. Comme l’islam est la religion d’un livre sacré, le Coran, toute représentation de ce livre est un acte pieux. Le mot joue dans l’art musulman un rôle identique à l’image dans l’art chrétien. Tout comme la vie du Christ est une source inépuisable de thèmes artistiques, la reproduction des versets du Coran est la forme d’art suprême. Le travail du calligraphe est essentiel puisqu’il fournit la matière au mosaïste, au tailleur de pierre, au sculpteur sur bois ou au graveur sur cuivre. La calligraphie sera plus tard accompagnée d’enluminures et de miniatures qui produiront des chefs-d’œuvre en Perse et dans l’Empire ottoman.
Vidéo : Les omayyades
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