Les protestantismes
Même si depuis le début du christianisme une tendance protestante a toujours existé, il n’en reste pas moins vrai que, historiquement, la rupture avec l’Église catholique fut très brutale : elle ne résulte pas, comme dans le cas de l’orthodoxie, de problèmes politiques ou culturels mais d’une violente « protestation » contre les abus de l’Eglise romaine qui se termina par une radicale remise en question du pouvoir en son sein.
Dès le XIesiècle de nombreuses revendications apparaissent dans la monde chrétien, demandant plus de spiritualité et de pauvreté de la part de l’Eglise catholique et aussi plus de liberté dans
l’accès aux textes sacrés. La réponse de l’Église aux « hérétiques » sera terrible : dès l’année 1184, elle crée l’inquisition. Pendant plusieurs siècles les papes eurent une puissance tant spirituelle que temporelle sans limite : « Le Seigneur, disait au XIIIe siècle Innocent III, a remis à Saint Pierre le gouvernement non seulement de toute l’Église, mais du monde entier ». Le pouvoir absolu corrompant absolument, la papauté, après avoir connu des moments de gloire, va sombrer dans une décadence morale et institutionnelle qui, en 1378, aboutit au grand schisme d’Occident : l’Eglise va avoir deux puis trois papes simultanément.
Ce schisme a été pour Rome une occasion ratée de se réformer. En effet les problèmes essentiels de la simonie, des abus du pouvoir pontifical, de la vente des indulgences furent posés de même que celui, crucial, de la primauté papale ou conciliaire. Si, à la fin du schisme, en 1417 à Constance, la tendance conciliaire semblait avoir triomphé, en réalité il n’en fut rien : les réformes structurelles n’étaient pas assez profondes et les nouveaux papes eurent tôt fait de reprendre leurs habitudes dictatoriales suscitant ainsi la réaction réformiste.
Ce mouvement est loin d’être né spontanément : plutôt qu’un renouveau, il est l’aboutissement des crises latentes et des crispations de l’Église romaine sur ses « droits acquis ». Bien avant les Luther et les Calvin, des voix s’étaient élevées contre les abus de pouvoir de la papauté et avaient proposé des remèdes. Déjà en 1324, Marsile de Padoue, recteur de l’université de Paris, n’hésite pas à publier un traité antipapiste, Le Défenseur de la paix (Defensor pacis), qui réfute la prétention du pape à la « plénitude du pouvoir ». Pour lui la foi est volontaire : elle doit être une adhésion sincère et spontanée des fidèles et ne peut-être imposée par l’Église. Par conséquent ce n’est pas elle qui doit imposer ses représentants au peuple mais bien celui-ci qui doit élire le clergé ; le pape lui- même devrait être élu par toute la chrétienté. Malheureusement pour le devenir des chrétiens, le pape de l’époque n’était pas Jean XXIII mais Jean XXII qui, très chrétiennement, l’excommunia aussitôt.
La pensée de Marsile de Padoue, profondément révolutionnaire pour l’époque, est très moderne : ce républicain soutint que toute autorité sur terre procède du peuple et que l’on ne peut accorder aucun crédit au « droit divin ». Il faudra attendre encore deux siècles pour que ces idées soient appliquées dans les Eglises réformées où « tous les chrétiens étant prêtres par le baptême » ils choisissent eux-mêmes leurs prédicateurs.
Ballottés au milieu des luttes religieuses et surtout politiques, Luther et Calvin, les deux grandes figures du protestantisme,
allaient soutenir leur combat au risque permanent de leur vie grâce à une foi inébranlable et à une stricte rigueur morale. Leur réforme, qui allait avoir d’énormes conséquences non seulement religieuses mais aussi politiques et économiques, est bien avant tout une démarche spirituelle : le seul souci de Luther et de Calvin est de retrouver la pureté du message divin. Pour eux la seule référence est l’Evangile et non pas la papauté ou la tradition qui doivent lui être soumises. Les conséquences pratiques de cette prise de position (création de nouvelles écoles, de nouvelles structures pour les Eglises réformées, etc.) ne dépendront pas vraiment de la volonté des réformateurs mais de celle de leur entourage qui les obligera à prendre en main les destinées de leurs jeunes communautés. L’imprimerie naissante constituera un outil puissant permettant une rapide diffusion des idées nouvelles.
Plus que leurs nouvelles approches théologiques, ce sont ces conséquences induites qui auront tant d’influences positives sur le développement économique des pays réformés. Car, d’une certaine façon, ces réformateurs étaient aussi des conservateurs : hommes de leur temps ils s’opposèrent avec les mêmes méthodes que leurs adversaires aux ultra-réformateurs. Ainsi Calvin, suite à un procès scandaleux où il tint un rôle certain, envoya au bûcher Michel Servet qui niait la divinité du Christ. Quant à Luther, face à la révolte des paysans, il n’hésita pas à préconiser une dure répression très peu évangélique.
Dans les pays réformés, l’homme religieux deviendra plus adulte. Sa nouvelle liberté de conscience lui permet, enfin, de croire par lui-même à partir de l’Écriture sainte : il ne doit plus croire par personnes interposées. Au fond les réformateurs ont, sans le vouloir, « démocratisé » la foi comme ils ont démocratisé leurs Eglises.
Luther, d’abord moine au sein de l’ordre des Augustins, voulut rester fidèle à Rome mais rapidement il s’aperçut que sa propre théologie l’éloignait inéluctablement de l’Eglise. Pour lui le salut est donné par la grâce de Dieu uniquement et l’Eglise n’a pas le droit de vendre le ciel en monnayant des indulgences. La papauté restant évidemment sourde à ses reproches, Luther adopta un ton de plus en plus ferme. Des tentatives de rapprochement eurent lieu et il y eut même un projet d’entente, Rome s’engageant à ne plus attaquer Luther si celui-ci renonçait à attaquer la vente des indulgences. Mais les positions étaient trop opposées et, pour l’Église, les intérêts trop importants : il fut excommunié.
Le génie de Calvin marqua la structure nouvelle qu’il donna à ses nouvelles Eglises. 11 veilla à ce qu’elles soient gouvernées conjointement par des ecclésiastiques et des laïques qui disposaient
d’une autonomie gouvernementale quasi intégrale. Ces Églises se chargèrent de nombreuses fonctions relevant normalement de l’État, mais jamais suffisamment pour que l’Église puisse se substituer à lui. Bref un dosage subtil pour répartir le pouvoir et éviter un nouveau papisme. Ces Eglises se développèrent rapidement malgré le pessimisme de la doctrine ; pour Calvin l’éternité de l’homme, ciel ou enfer, est fixée par Dieu à l’avance et ses œuvres n’y changeront rien. On connaît la théorie du développement économique qu’échafauda Weber à partir de cette philosophie de la prédestination.
Ce que n’avaient pas prévu les Calvin et Luther, c’est la grande diversité qui résulterait de leur Réforme. En effet le protestantisme est multiforme : il comprend une étonnante variété d’Eglises et de sectes allant d’un stricte rigorisme proche du fanatisme à une croyance assez vague entraînant un certain anarchisme. Comme le catholicisme, ces Eglises ont une source commune, la Bible, mais les protestants récusent tout ce que l’Eglise catholique a ajouté à l’Ecriture sainte et sa lecture univoque. Pour un protestant, chaque homme est capable d’interpréter, en conscience, le message biblique. Mais pratiquement ce pauvre homme a besoin d’être guidé pour comprendre correctement la parole divine. Et c’est ici que les choses se compliquent, les différents guides lisant très différemment les textes sacrés. Les fondamentalistes les suivent (difficilement) à la lettre tandis que les libéraux n’y voient qu’une morale à interpréter en fonction des connaissances modernes. Entre ces courants extrêmes, se situe le catholicisme dont, pourtant, tous les protestants se distinguent par certains points dogmatiques :
Ils ne rendent pas de culte à Marie et ne reconnaissent pas le dogme de l’immaculée Conception.
Ils ne reconnaissent, en général, comme sacrements que le baptême et l’eucharistie.
Ils n’admettent ni l’autorité pontificale ni, évidemment, le dogme de son infaillibilité.
Il serait vain de rechercher dans ces subtilités théologiques, finalement assez marginales, le différentiel de développement constaté entre pays catholiques et protestants, qui reste prégnant plusieurs siècles après la Réforme. Ce ne sont pas les dogmes de l’une ou l’autre religion qui peuvent expliquer les développements divergents mais plutôt le système social résultant d’une conception radicalement différente de l’autorité : pour les catholiques, elle vient de Dieu par le haut, par l’autorité pontificale d’abord ; pour les protestants, elle vient aussi de Dieu mais par la base, par l’ensemble des croyants. Bref, c’est la théocratie contre la démocratie avec tout ce que cela entraîne. D’un côté le pouvoir fort, l’autoritarisme, la rigidité, la peur du changement, la phobie du désordre, la crainte des idées nouvelles. De l’autre, au contraire, un pouvoir toujours remis en question, le changement recherché pour lui-même, l’apparition d’idées nouvelles.
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