Les zoroastriens ou adorateurs du feu
Parmi ceux qui, férus ’Antiquité, se souviennent de l’existence de Zoroastre, bien peu sont capables de parler savamment de la religion qu’il a répandue. On serait même tenté de penser que toute trace de cette foi orientale venue du fonds des âges a disparu depuis longtemps1.
Nietzsche n’a pas facilité les choses, car son livre Ainsi parlait Zarathoustra ne concerne en rien ce personnage que l’on appelle, depuis les Grecs, plus communément Zoroastre.
Pourtant la religion zoroastrienne a, sans conteste possible, laissé une empreinte profonde dans notre univers philosophique et religieux, même si les contours précis de cette empreinte ne peuvent être exactement fixés. Mais surtout les zoroastriens sont encore bien vivants aujourd’hui. On en compte deux communautés : l’une, très active dans les affaires, d’environ 200 000 personnes en Inde, principalement à Bombay, est celle des Parsis, l’autre d’environ 50 000 âmes, subsiste dans le pays berceau de cette religion, en Iran, surtout dans la ville de Yazd.
Les zoroastriens appellent leur Dieu : Ahura Mazda ; ahura signifie « dieu » par opposition à démon et Mazda est son nom, dont l’étymologie se rattacherait à l’idée de sagesse.
Le feu, par analogie avec le soleil, symbolise Dieu, source de toute lumière. Rien d’étonnant à ce que Mazda soit devenu une marque de lampes électriques.
La religion mazdéenne remonte à une très haute antiquité et Zoroastre, dont on ne sait pas exactement quand il vécut, n’en a pas été le fondateur mais le réformateur, peut-être 1000 ans avant notre ère. Sous son influence, le mazdéisme est passé du stade d’une religion de mythes où s’affrontent de multiples dieux plus ou moins puissants à une religion intellectuellement plus dépouillée où s’oppose le principe du Bien à celui du Mal.
Ainsi Zoroastre a considérablement clarifié la religion indo-iranienne primitive. Son message est celui d’un prophète, envoyé par le Dieu du Bien, Ahura Mazda, plus fort que celui du Mal. Il annonce la régénération du monde et préconise une morale où l’homme contribue activement à la justice. Le triomphe de celle-ci sera l’œuvre de Dieu, d’un Dieu
transcendant, normalement hors d’atteinte de l’expérience et de la pensée de l’homme.
On mesure le pas considérable franchi par Zoroastre depuis les religions plus primitives, de type animiste ou mythologique, où une foule de divinités et de demi-dieux, à la vie publique et privée fort agitée, mêlent constamment leur activité à celle des hommes.
Aujourd’hui, les Parsis de l’Inde comme les autres zoroastriens d’Iran pratiquent une religion qui n’a que très peu varié depuis 2 500 ans.
La religion zoroastrienne s’appuie sur le texte sacré de l’Avesta, dont il ne subsiste que quelques débris des 21 livres qui le composaient.
La langue originelle de ce livre sacré, proche du sanscrit, a été abandonnée au profit de traductions successives en pehlevi, c’est-à-dire en vieux perse, puis, de nos jours, en gujrati, langue de la région de Bombay, ou en persan moderne.
Le sacerdoce est le privilège d’une caste et les trois différents degrés de la prêtrise s’acquièrent par des cérémonies d’initiation.
Le culte se déroule dans les « temples du feu ». Il existe des grands temples – à Bombay par exemple on en trouve trois – et des petits qui sont une centaine dans cette ville Outre leur taille, ces temples diffèrent par la qualité du feu qui y est entretenu, c’est-à-dire surtout par le choix des matériaux de combustion.
On pratique des offrandes diverses, plantes soigneusement choisies, petits pains, beurre ou viande. Les cérémonies s’accompagnent de longues récitations tirées de l’Avesta.
A la fin de l’enfance, à 7 ans en Inde et à 10 ans en Iran, une cérémonie particulière consiste en la remise solennelle d’une chemise blanche et d’une ceinture, symboles de l’appartenance à la religion zoroastrienne. Les autres fêtes célèbrent la création et la nature ; ainsi la fête de Nowruz, en persan « les nouveaux jours », est celle du printemps et le premier jour de l’année iranienne. Même pour les musulmans, c’est encore aujourd’hui la fête la plus populaire d’Iran2 : à cette occasion, la coutume est de partir pique-niquer en famille au bord de l’eau.
Contrairement à ce que suggère le mot « mage », il n’existe aucune trace de pratiques magiques dans la religion zoroastrienne actuelle.
En ce qui concerne les rites mortuaires, les zoroastriens s’abstiennent de souiller les éléments sacrés que sont la terre et le feu par le contact des cadavres. Ceux-ci ne sont donc ni enterrés ni incinérés mais placés sur des « tours du silence » où les vautours viennent les dévorer.
Quoique longtemps considérée comme une religion dualiste où
s’opposent le dieu du Bien et le dieu du Mal, le mazdéisme zoroastrien se considère dorénavant comme monothéiste : le dieu du Mal Ahriman n’est qu’une créature et un adversaire très inférieur d’Ahura Mazda1.
Evidemment les quelques communautés zoroastriennes de l’Inde et de l’Iran ne sont plus guère qu’une survivance curieuse de l’ancienne religion de l’Empire perse2.
Lors de l’effondrement de la dynastie sassanide sous les coups de l’Islam dès le vir siècle, les Iraniens se rallièrent en bloc à l’idéologie nouvelle, ce qui n’est pas un exemple unique dans l’Histoire. Les rapports des partisans inconditionnels du mazdéisme avec l’Islam ont connu des périodes difficiles, inéluctables après une guerre. Bien que l’Islam considère généralement le mazdéisme comme une « religion du Livre », puisqu’il dispose de textes sacrés, la tolérance que cette reconnaissance implique n’a pas évité des brimades et des conversions par la force, ce qui a poussé à l’exil la plupart des zoroastriens convaincus. C’est l’origine de la communauté parsie établie dans le Nord-Ouest de l’Inde dès 717.
Les contacts de cette colonie, qui s’est remarquablement maintenue et développée, ont été pratiquement coupés jusqu’au XVe siècle avec les zoroastriens d’Iran, dont la position sociale est assez médiocre, au contraire de celle des émigrés. Aujourd’hui, les Parsis apportent une aide et un réconfort à leurs frères iraniens, d’autant plus volontiers que leur religion les oriente vers les œuvres de santé et d’éducation.
Malgré la quasi-disparition du mazdéisme en Iran, on peut penser qu’on en retrouve des traits importants dans l’Islam chiite. En particulier, la croyance en un Mahdi, réapparition du dernier imam à la fin des temps, est assez semblable à la croyance zoroastrienne en un sauveur qui établira un ordre nouveau, en principe 3 000 ans après Zoroastre. C’est aussi la notion du messianisme juif.
Notons que le détroit d’Ormuz qui garde la sortie du golfe arabopersique a pour nom une déformation d’Ahura Mazda (Horamazd puis Ormuz).
En ce qui concerne les rapports du mazdéisme et du christianisme, ils sont difficiles à cerner, car ils ont été souvent indirects. Les deux religions ont en commun la croyance en un salut, individuel et communautaire, ainsi qu’en la résurrection des morts, ou tout au moins des justes.
Rappelons enfin que le vieux dualisme perse entre le Bien et le Mal a resurgi au IIIe siècle de notre ère dans le mouvement manichéen qui menaça gravement l’Eglise. Cette véritable nouvelle religion fût présentée par son fondateur, un Perse nommé Mani ou Manès, comme
l’accomplissement et la synthèse du bouddhisme, du christianisme et du zoroastrisme. Son succès s’est poursuivi jusqu’au Moyen Age puisqu’il n’est pas étranger au mouvement cathare1, éliminé en 1244 par la croisade contre les Albigeois et la destruction de Montségur.