Le catholicisme : Le Chili et l’Argentine ou l’art du mal développement
L’Argentine est un vaste pays (cinq fois la France) ne comprenant que 33 millions d’habitants ce qui lui donne une très faible densité, inférieure à 12 habitants par km2. Le Chili, moins étendu, avec ses 13,5 millions d’habitants a une densité à peine supérieure de 18 habitants par km2 (à comparer aux 106 habitants par km2 de la France). Ces deux pays s’étendent du « Nord au Sud sur près de 4 000 km et connaissent tous les climats. Les parties centrales où se situent leurs capitales sont les plus peuplées et jouissent d’un climat tempéré. Par leur situation géographique, leur étendue et la localisation de la majorité de leur population, ces pays peuvent être comparés à l’Australie et à la nouvelle Zélande. L’Australie, beaucoup plus vaste, a une population très urbaine dont 40 % vivent à Sydney et à Melbourne, situées sensiblement à la même latitude que Buenos Aires ou Santiago. La Nouvelle Zélande, plus petite, concentre aussi sa population dans les mêmes zones tempérées. Les richesses minières de ces quatre pays représentent 7 à 8 % du PNB sauf pour la Nouvelle Zélande où elles ne représentent que 2 %. Enfin la grande majorité des populations de ces pays est de souche européenne, les autochtones ayant été massacrés aussi consciencieusement par les catholiques que par les protestants.
Bref il serait difficile d’expliquer les différences de production, de richesse de ces pays par des facteurs géographiques, miniers ou climatiques. Pourtant ces différences sont grandes : si l’Argentine a un PNBH de 7 500 dollars, celui du Chili n’est que de 3100 dollars
contre 13 490 pour la Nouvelle Zélande et 15 860 pour l’Australie. Bien sûr ces deux pays sont majoritairement protestants contrairement aux deux autres, catholiques. Mais, cela étant, quelles sont les facteurs concrets pouvant expliquer ces différences ?
C’est l’histoire, pourtant à bien des égards assez semblable, de ces quatre pays qui apporte un début de réponse. L’Argentine et le Chili furent colonisés dès le XVIe siècle, l’Australie et la Nouvelle Zélande beaucoup plus tard, au XVIIIe siècle par l’Angleterre qui, ayant perdu l’Amérique du Nord, chercha de nouveaux débouchés pour ses bagnards, ses convicts. Les premiers colons de l’Australie et de la Nouvelle Zélande n’étaient donc pas exactement les citoyens idéaux pour créer une société sage et démocratique. Pourtant, bientôt ces forçats « transforment le pénitencier australien en colonie qui se dotera rapidement d’un self-govemment ». Dès la fin du XIXe siècle l’Australie, comme la Nouvelle Zélande, est dotée d’un système parlementaire bicaméral basé sur celui de l’Angleterre. De plus les deux pays se dotent de puissants syndicats qui feront même de la Nouvelle Zélande un des pays socialement les plus avancés du monde.
Face à l’histoire sage de ces deux pays, celles du Chili et de l’Argentine ne sont que violence, instabilité, coups d’état, dictatures folles et sanguinaires et cela jusqu’il y a peu. Qu’on en juge. En 1820, le Chili arracha difficilement son indépendance aux Espagnols après de nombreuses guerres. S’ensuivit quelques conflits avec la Bolivie et le Pérou puis une guerre civile en 1891 : le régime présidentiel fut alors remplacé par un régime parlementaire qui tiendra jusqu’à l’intervention militaire de 1924. Suivit alors une période d’instabilité consécutive à l’entrée des classes moyennes et populaires dans la vie politique et à l’incapacité des dirigeants. Malgré de nombreuses tentatives de réforme entreprises tantôt par un gouvernement de gauche, tantôt par un gouvernement de droite, les structures économiques et sociales demeurent très inégalitaires, l’emprise du capital américain sur les richesses du sous-sol reste très grande et l’inflation est permanente. Arrive alors en 1970 le président Salvador Allende qui trouvera la mort trois ans plus tard lors d’une intervention brutale de l’armée. La place est libre pour le dictateur Pinochet qui mènera la politique répressive que l’on sait.
L’histoire de l’Argentine n’est pas très différente. Elle est aussi caractérisée par de nombreuses périodes d’instabilité, par une lutte entre l’oligarchie despotique et les masses populaires, par l’intervention de l’armée et malheureusement souvent par l’élimination physique des opposants. Est-il besoin de chercher d’autres facteurs pour expliquer le succès de l’Australie et de la Nouvelle Zélande protestantes et les échecs relatifs du Chili et de l’Argentine catholiques qui se situent, malgré ces violences, parmi les pays les plus
développés d’Amérique latine ? Cette histoire tourmentée, brutale ne constitue pas une malheureuse exception dans celle des pays latino-américains. Au contraire, cette violence est la règle générale. Durant les années 1970-1990, 90 000 personnes « disparurent » en Amérique latine et cela sans compter les innombrables tués suite aux violences quotidiennes provenant tant des divers mouvements révolutionnaires que des forces de l’ordre. Les responsables – politiques ou militaires – de ces disparitions ne furent jamais arrêtés mais souvent amnistiés, comme si la population approuvait tacitement cette violence.
Celle-ci se retourne maintenant contre les pauvres qui deviennent facteurs de troubles et donc ennemis à abattre. Dans de nombreux pays, au Brésil et en Colombie notamment, chaque jour des enfants miséreux sont abattus parles« forces de l’ordre »ou par des « escadrons de la mort ». Il est vrai que les enfants ne manquent pas ; la population de l’Amérique latine, encore inférieure à celle des Etats-Unis en 1940, en représentera plus du double en l’an 2000 (plus de 530 millions). Bien que le continent ne soit pas surpeuplé, cet accroissement démographique représente un frein au développement en créant des charges supplémentaires pour les actifs : besoins de nouvelles écoles et de nouvelles infrastructures, chômage, délinquance, etc. Dans son roman intitulé La vierge des tueurs, Fernando Vallejo (1997) se montre très pessimiste sur l’avenir du monde et, en particulier, de la Colombie où se déroule l’action de son roman : « Les pauvres fabriquent encore plus de pauvres, la misère plus de misère, et plus il y a de misère plus il y a d’assassins, et plus il y a d’assassins plus il y a de morts. C’est la loi de Medellin, qui régira dorénavant la planète Terre. Prenez en note. » Espérons que le romancier se trompe.
Vidéo : Le catholicisme : Le Chili et l’Argentine ou l’art du mal développement
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : Le catholicisme : Le Chili et l’Argentine ou l’art du mal développement