L’empire almohade
La formation de l’empire almohade
Avec Abd al Moumin, Ibn Tumert retourna dans le haut Atlas et s’installa en 1125 à Tinmal, au milieu des tribus masmouda. Animé par le désir d’imiter le Prophète, il mit sur pied une organisation communautaire hiérarchisée avec à sa tête le mahdi, puis le conseil des Dix, véritable « état-major » formé de ses principaux disciples, ensuite le conseil des cinquante regroupant les chefs de tribus, enfin le peuple almohade. Il plia tout le monde à une discipline stricte.
Ibn Tumert mourut en 1130, après avoir tenté une expédition sur Marrakech. Abd al Moumin fut reconnu comme successeur et fut proclamé calife. Un nouveau califat se leva ainsi à l’ouest contre ceux de Bagdad et du Caire. Abd al Moumin (1130-1163) fut le grand constructeur de l’Empire. Il se rendit d’abord maître des montagnes marocaines avant de prendre Fès (1147) et Marrakech (1146). L’Espagne, qui était tombée à la fin des Almorávides, sous la coupe de nouveaux reyes de Taïfas, était une proie tentante, mais Abd al Moumin préféra se diriger vers l’est à cause du danger normand en Ifriqiya. Il mit fin au royaume hammadide 138 de Bougie en 1151, battit les Hilaliens à Sétif en 1153,
acheva enfin en 1161 l’unification de tout le Maghreb. Il préparait l’expédition vers l’Espagne, lorsque la mort le surprit à Salé en 1163.
Abd al Moumin fut aussi l’organisateur de l’Empire, dont il fit une monarchie héréditaire. Il nomma ses fils à la tête des provinces et ses successeurs gardèrent ce système familial de gouvernement. Pour consolider son pouvoir, il enrôla une partie des Hilaliens et les implanta dans les plaines marocaines par l’obligation du service militaire, mais il leur donna aussi la charge de percevoir l’impôt sur la région. Il fit enfin réaliser l’arpentage du Maghreb pour mieux percevoir l’impôt foncier (kharaj). Les impôts permirent aux Almohades de disposer d’une monnaie solide et de pouvoir entretenir une armée et une marine considérables.
L’évolution de l’Empire
Le successeur d’Abd al Moumin, Abu Yaqub Yusuf (1163-1184) acheva la reconquête de l’Espagne musulmane, où il choisit Séville comme résidence principale. Yaqub, dit Al Mansur (1184-1198), fit de Rabat (Ribat el Fath : « couvent, camp de la victoire ») le centre de préparation de la guerre sainte en Espagne et remporta la grande victoire d’Alarcos sur Alphonse VIII de Castille, en 1195. Alarcos allait pourtant provoquer un sursaut des chrétiens qui gagnèrent à leur tour la bataille de Las Nava de Tolosa (1212), laquelle marque le début du repli définitif de l’Islam en Espagne.
Les Almohades furent très affaiblis par les coups que leur portèrent depuis leur refuge des Baléares, les Banu Ghaniya, qui se voulaient défenseurs des droits almorávides. Ils débarquèrent à Bougie en 1185 et trouvèrent beaucoup d’alliés, notamment chez les Hammadides et les Hilaliens, ce qui leur permit de mener des raids dévastateurs pendant cinquante ans sur tout le Centre et l’Est du Maghreb, tout en demeurant insaisissables. Ils accentuèrent ainsi les conséquences des invasions hilaliennes.
La domination almohade profita surtout au Maghreb extrême (Maroc), qui connut une période de splendeur et de grand rayonnement culturel et artistique à partir de Marrakech. Mais cette période fut courte. La guerre sainte en Espagne avait en effet épuisé les Almohades et une autre cause de leur faiblesse fut de ne pas être restés fidèles à leur idéologie. Les Almohades se divisèrent en deux tendances : ceux qui voulaient rester dans la ligne d’Ibn Tumert et ceux qui se trouvaient satisfaits de recueillir les fruits de l’Empire. En 1230, le calife almohade renia la doctrine d’Ibn Tumert.
À partir de 1212, la décadence fut très rapide même si l’Empire subsista encore pendant cinquante ans, plus à cause de la faiblesse de ses adversaires que de sa propre force. Chaque gouverneur se rendit indépendant et des luttes intestines déchirèrent la famille almohade. L’Ifriqiya se détacha la première avec les Hafsides de Tunis, tandis que le Centre du Maghreb constitua dès 1235 le royaume des Abd al Wadides de Tlemcen. L’Espagne musulmane quant à elle, s’effondra ; Cordoue fut prise par les chrétiens en 1236 et Séville en 1248. Seul subsista l’Etat des Nasrides de Grenade, qui dut sa survie au fait que ceux-ci avaient aidé les chrétiens dans la reconquête et qu’ils reconnaissaient leur suzeraineté. Enfin, l’Ouest fut progressivement dominé par les Mérinides (Fès 1248, Marrakech 1269).
Les trois États qui se partagèrent le Maghreb se voulurent les héritiers des Almohades et se proposèrent comme but d’en reconstituer l’unité. Sous ces dynasties, les Hilaliens devinrent une force considérable avec laquelle les souverains devaient compter. Les grandes villes reçurent les émigrés andalous qui leur apportèrent un sang neuf. L’orthodoxie sunnite avait triomphé dans tout le Maghreb et des médersas s’édifièrent pour en répandre l’enseignement.