La religion des Yoroubas
Les religions traditionnelles, souvent dites animistes, prises au sens large, tiennent une place considérable dans l’Histoire comme dans l’actualité de la spiritualité humaine. Aujourd’hui, on estime à 150 mil¬lions le nombre d’hommes qui pratiquent un animisme à l’exclusion de toute autre religion, mais, le plus souvent, les croyances animistes subsistent à des degrés divers dans des régions apparemment christianisées ou islamisées.
Certaines formes de superstition encore vivantes dans les sociétés occidentales pourraient être incluses dans les formes diffuses d’animisme.
Il est évidemment difficile d’estimer quantitativement les populations ainsi touchées par une forme ou une autre d’animisme. Si l’on s’en tient à une estimation raisonnable, on peut penser que ce sont près de 500 millions d’âmes qui sont marquées par l’animisme d’une façon appréciable, soit dans la vie sociale, soit dans le comportement individuel.
L’animisme dans son ensemble se placerait donc ainsi au quatrième rang des religions du monde, après le christianisme, l’Islam et l’hindouisme, légèrement devant le bouddhisme.
A la réflexion, il n’est pas si étonnant que les religions animistes gardent cette importance. L’animisme a été, sans doute assez naturellement, la première forme d’expression religieuse de l’homme. Quand l’homme primitif luttait pour sa survie, il ressentait les forces de la nature comme des puissances imprévisibles et menaçantes auxquelles il attribuait une bonne part de son propre comportement : astuce, colère ou bonté, par exemple. De là à donner à ces puissances la forme d’hommes ou d’animaux et d’en faire des dieux, le pas a été vite franchi.
Toutes les religions primitives comportent ainsi une mythologie foisonnante d’être étranges ou merveilleux qui détiennent chacun une part du pouvoir surnaturel et se livrent, comme l’homme lui-même, à des rivalités sans fin.
Bien sûr, les fonctions et surtout les noms de ces innombrables dieux ou demi-dieux, génies et démons, varient d’une culture à l’autre.
Il existe cependant des caractéristiques que l’on retrouve dans presque toutes les formes d’animisme. D’une façon générale, les religions traditionnelles ne sont pas des religions révélées ; il n’y a pas de livres saints ; ce ne sont pas des religions « intellectuelles » avec une doctrine précise. Leur organisation hiérarchique est rudimentaire. Le but de ces religions est essentiellement d’atteindre une certaine intimité avec les dieux, ce qui donne des pouvoirs magiques et produit différentes sortes de possessions ou d’extases.
Pour participer à cette connaissance expérimentale du divin, il faut une initiation aux rites souvent mystérieux. La musique, le rythme et la danse jouent un rôle irremplaçable dans les cérémonies. Fréquemment, des participants tombent dans des transes dont la nature n’a pas reçu, semble- t-il, d’explication médicale satisfaisante.
Ces points communs restent, à vrai dire, assez généraux. Si l’on entre dans plus de détails, on constate l’existence de deux grands groupes d’animismes selon la façon dont le prêtre se met en rapport avec les esprits ou les dieux.
Une première catégorie est celle des religions traditionnelles de type chamaniste. Le chaman 1 est capable d’aller chercher les dieux là où ils sont. Il « voyage ». Parfois, il tombe en catalepsie : son corps reste sur place et son esprit rejoint les régions inaccessibles aux mortels. Il peut ainsi, par exemple, découvrir les causes d’une maladie ou d’un envoûte¬ment et, à son retour, guérir celui qui en était victime. Les religions traditionnelles de type chamaniste se rencontrent dans les peuplades de Sibérie orientale mais aussi en Corée, au Chili, à Java… Au Chili, il concerne l’importante ethnie des Indiens Mapuches, longtemps imperméable à toute influence chrétienne.
Dans le deuxième groupe de religions animistes, au lieu que ce soit le chaman qui aille visiter les dieux, ce sont les dieux qui viennent visiter les humains et parfois les « habiter » par des phénomènes de possession. Le sorcier est capable d’appeler tel ou tel dieu et celui-ci se manifeste dans une personne de l’assistance qui est subitement prise de transes. Ce type d’animisme est, le plus souvent, d’origine africaine. Il a traversé l’Atlantique au moment de la traite des esclaves et s’est retrouvé presque intact dans les communautés afro-américaines du Brésil ou des Antilles. On l’y connaît sous le nom de vaudou à Haïti et de candomblé à Salvador de Bahia.
Ces deux grands groupes n’englobent pas toutes les expressions de l’animisme : on ne peut y classer notamment ni le shintoïsme japonais,ni le taoïsme chinois, ni le culte des Toradjas en Indonésie, ni les cargocuits d’Océanie.
Dans ces religions, hommes et dieux restent dans leurs mondes respectifs. Cependant, la communication avec l’au-delà reste généralement possible grâce aux esprits des ancêtres morts.
En fait, le monde de l’animisme échappe à une classification rigoureuse et la meilleure façon de le comprendre consiste à présenter quelques exemples de religions traditionnelles parmi les plus représentatifs ou les plus célèbres.
Comme une description détaillée serait exagérément technique et qu’il existe, en outre, d’excellents ouvrages spécialisés sur ces religions, nous nous contenterons de souligner les traits qui font apparaître leur variété et leur originalité.
Selon ces critères, notre choix s’est porté sur :
-la religion des Yorubas (Nigéria et Bénin) et les religions afro américaines, vaudou, macumba et candomblé, qui en sont dérivées ;
– la religion des Mapuches (Chili) ;
– les cargo-cuits océaniens ;
A quoi s’ajoutent les deux grandes religions traditionnelles asiatiques :
– le taoïsme (Chine) ;
– le shintoïsme (Japon) ;
qui font l’objet de chapitres distincts auxquels nous renvoyons le lecteur.
Après ces présentations monographiques, nous découvrirons jusqu’à quel point l’animisme reste présent sous les grandes religions qui l’ont apparemment submergé. Quelques exemples rapidement esquissés suffiront pour prendre conscience de cet important phénomène religieux.