Le mysticisme, en refusant le signe, donc le langage, s’oppose radicalement à la philosophie. Dans Tibet, l’An du Dragon, Tséwang Pemba (1975), médecin tibétain, expose clairement la différence : « Pourquoi la vie avait-elle eu un commencement ? Pourquoi cet océan d’existence ? Il n’y avait aucune réponse. La question : pourquoi CECI existe-t-il ? était trop profonde. Il (un moine bouddhiste intéressé par la réflexion philosophique) trouvait plaisir à se tracasser et se tourmenter à l’aide d’énigmes philosophiques. Il savait que l’humanité doit admettre et ne pas poser de questions, que le Bouddha avait interdit, comme un effort inutile, toute recherche philosophique. Un homme face à face avec un tigre ne demande pas pourquoi le tigre est là, mais il fait tout ce qu’il peut pour échapper à la bête. Il en va de même pour l’homme aux prises avec la souffrance. Ainsi, dans ce phénomène fugitif et éphémère de la vie, nous qui sommes pris au sein d’une toile inextricable de chagrin et de souffrance, nous ne devons pas poser la question de savoir pourquoi ce phénomène existe, mais seulement chercher le chemin du salut et la délivrance de la souffrance. La quête du salut et la quête de la vérité sont deux formes entièrement différentes de la recherche. »
Il est amusant de constater que le Bouddha en son nirvana, au sommet de la fusion mystique, est le plus souvent drapé dans la roide géométrie grecque, expression impeccable d’un rationalisme sans défaut ! Ainsi naît l’illusion d’une harmonie entre ces deux idéalisations, celle du dépassement du désir et de l’abolition du moi, et celle de l’aspiration à la connaissance d’un monde centré sur l’homme.