Les attentes des hommes de la Bible: La cérémonie du sacre
La cérémonie du sacre
L’onction de Saül puis de David s’est faite presque sans cérémonie, pourrait-on dire : le récit n’occupe que quelques lignes dans la Bible ; pour ces deux premiers rois, l’auteur veut attirer notre attention sur le choix de l’intéressé par Dieu et le rôle prééminent du prophète
Pour Salomon, pas de sacre en grande pompe non plus : mais un récit presque haletant de son accession contestée au trône ; il s’agissait de faire au plus vite pour barrer la route aux autres prétendants. Cependant, même si la cérémonie fut accélérée, les principaux moments et surtout les principaux acteurs d’un sacre royal sont mentionnés ; c’était une condition de légitimité.
Et puis, peu à peu s’est instauré un véritable rituel de cour pour le sacre des rois ; on le devine à l’occasion du récit de la consécration de Joas, l’un des lointains successeurs de David, en 835, et aussi à travers les allusions de divers psaumes ; grâce à quoi nous pouvons nous représenter le déroulement d’un sacre royal à Jérusalem avant l’Exil à Babylone. Tout ce rituel s’explique si l’on sait que, en filigrane, derrière toute cérémonie de sacre d’un roi à Jérusalem, se profile le thème de la promesse de Dieu au roi David et à sa descendance. Désormais, donc, tout nouveau roi montant sur le trône à Jérusalem se savait porteur de la promesse faite à David. Et chaque cérémonie de sacre était l’occasion de redire cette promesse et de conforter la confiance du peuple.
La cérémonie se déroulait en deux temps, au Temple, sur la plus haute colline de Jérusalem, d’abord, puis à l’intérieur du palais royal dans la salle du trône.
Tu es mon fils
Au Temple, d’abord, et c’est bien normal, puisque Dieu est en définitive le principal acteur, le nouveau roi arrive, escorté de la garde royale ; puis un prophète pose le diadème sur sa tête (on dit qu’il lui « impose » le diadème). Il lui remet également un rouleau (qu’on appelle « les témoignages ») et qui est la charte de l’Alliance conclue par Dieu avec la descendance de David ; cette charte contient des formules qui s’appliquent à chaque roi : « Tu es mon fils, aujourd’hui je t’ai engendré… » et encore : « Demande-moi et je te donnerai les nations comme héritage. » Cette charte lui fait également connaître son nouveau nom : on en a un exemple quand le prophète Isaïe dit du jeune roi Ezéchias : « On proclame son nom : Merveilleux Conseiller, Père à jamais, Prince de la Paix » (Isaïe 9, 5). Puis c’est un prêtre qui intervient : c’est lui qui va accomplir le fameux rite de l’onction d’huile ; c’est à partir de ce moment-là que le nouveau roi porte le titre de messie, le « frotté d’huile ».
La cérémonie au Temple s’achève par une acclamation, une clameur immense qu’on appelle la « Terouah » : tous ceux qui assistent à la cérémonie crient « un tel est roi » dans un concert d’applaudissements, au son du cor et des trompettes. La Terouah, en réalité, c’est un cri de guerre qui s’est transformé en ovation pour le nouveau roi : ici, c’est le roi-chef de guerre qu’on acclame.
Puis on se rend en cortège, ou plutôt en procession au Palais. Le cortège pousse des clameurs « à fendre la terre » comme on dit. Au passage, le roi s’arrêtera pour boire à une source, symbole de la vie nouvelle qui lui est donnée et de la force dont il est revêtu désormais pour triompher de ses ennemis.
Siège à ma droite
La deuxième partie de la cérémonie se déroule au Palais qui est juste au sud du Temple, en position un peu moins élevée, comme il se doit, puisqu’on n’oublie jamais, là-bas, que le trône de Dieu doit être plus haut placé que celui du roi. Le cortège royal, venant du Temple, pénètre dans la salle du trône. Alors, le prophète prend la parole au nom de Dieu, en employant la formule solennelle : « Oracle du Seigneur » ; il invite le nouveau roi à gravir les marches du trône et à s’asseoir. C’est bien sûr un geste symbolique : le roi prend possession du pouvoir ; dans la Bible, on rencontre l’expression « s’asseoir sur le trône des rois » qui signifie « régner ».
Autre symbole : sur les marches du trône, sont sculptés des guerriers ennemis enchaînés : donc, en gravissant les marches, le roi posera le pied sur la nuque de ces soldats ; ce geste de domination est le présage de ses victoires futures ; on comprend du coup la première strophe du psaume 110/109 : « Oracle du Seigneur à mon seigneur » (il faut lire « parole de Dieu pour le nouveau roi ») : « Siège à ma droite, et je ferai de tes ennemis le marchepied de ton trône. »
Juste un mot sur l’expression « à ma droite » dans le psaume : « Siège à ma droite, et je ferai de tes ennemis le marchepied de ton trône » ; rappelons-nous que c’est Dieu qui parle par la bouche du prophète : au départ, cela correspond à une donnée très concrète, topographique : à Jérusalem, le palais de Salomon est situé au sud du Temple (donc à droite du Temple, si l’on est tourné vers l’est) ; tout s’explique : Dieu trône invisiblement au-dessus de l’Arche dans le Temple et le roi siégeant sur son trône sera donc à sa droite.
Donne au roi tes pouvoirs
La cérémonie continue : le prophète remet le sceptre au nouveau roi ; cette remise du sceptre est symbolique de la mission confiée au roi : il dominera ses ennemis, pour protéger son peuple. Là encore laissons parler le psaume 110/109 : « De Sion, le Seigneur te présente le sceptre de ta force ; domine jusqu’au cœur de l’ennemi. » Désormais il s’inscrit dans la longue chaîne des rois descendants de David : il est à son tour porteur de la promesse faite à David ; on n’oublie pas qu’il n’est qu’un homme mortel, mais il devient porteur d’un destin éternel parce que le projet de Dieu est éternel. Enfin, le sacre d’un roi à Jérusalem se terminait comme partout dans le monde : une fois le roi dûment sacré, venait le temps des hommages et des acclamations ; les notables du royaume s’avancent les premiers et on imagine sans peine ce qui a pu se passer dans les coulisses quand le chef du protocole a dû déterminer l’ordre de ce genre de processions ! Toutes ces personnalités du pays s’avancent pour lui présenter leurs hommages : on se prosterne devant le nouveau souverain et on lui baise les pieds. Puis s’avancent les ambassadeurs des peuples alliés qui avaient été conviés à Jérusalem pour l’occasion : c’est leur tour de venir présenter leurs vœux au nouveau roi.
Ainsi entouré, celui-ci va prononcer son discours du trône, très attendu. Il va, bien sûr, promettre monts et merveilles, mais on ne s’en contentera pas ! Car on attend du roi en Israël un discours bien particulier, qui découle tout droit de ce qu’on sait déjà, à savoir que le véritable roi, contrairement aux apparences, ce n’est pas Saül, David ou Salomon, ou l’un quelconque de leurs descendants, c’est Dieu lui-même.
Le roi d’Israël, lui, sera jugé par rapport à sa fidélité à l’Alliance avec Dieu, et il le sait. Nul doute que prêtres et prophètes ont les oreilles grandes ouvertes. Le discours du trône doit donc d’abord rappeler avant toute chose la véritable royauté de Dieu et le roi de Jérusalem doit s’engager à être son fidèle instrument. Il prête serment, publiquement, de respecter l’Alliance, de gouverner avec justice et d’engager son peuple sur le chemin du respect de la Loi de Dieu ; nous sommes au chapitre des bonnes résolutions. Le peuple, lui aussi, fait des promesses de soumission au nouveau roi, lequel promet d’assurer le bonheur de tous.
Enfin, le prophète intervient encore une fois pour une prière : que Dieu protège ce roi, qu’il lui accorde et surtout qu’il accorde à tout le royaume une ère de paix, de justice et de prospérité, dont on rêve depuis si longtemps. Nous en avons une trace dans le psaume 72/71 : « Dieu donne au roi tes pouvoirs, à ce fils de roi ta justice, qu’il gouverne ton peuple avec justice, qu’il fasse droit aux malheureux. » Où l’on voit, et ce n’est pas anodin, que les vœux de joyeux avènement que le prophète adresse au nouveau roi concernent avant tout le peuple.
Alors peut commencer la fête.