Quand le Messie devient un peuple: Le petit Reste
Voilà donc de nouveaux discours : un Messie- prophète, un Messie-prêtre ; ces deux figures du Messie, prêtre et prophète, sont peu répandues, mais elles nourrissent l’espérance de certaines communautés ; et il nous en reste d’autres encore à découvrir, car l’espérance n’a pas dit son dernier mot. Et voilà qu’elle va franchir une autre étape: jusqu’ici, nous parlions du Messie attendu par Israël en termes individuels : on attendait un sauveur ; et voilà qu’un tout autre discours commence à circuler ; il n’étouffera jamais les autres discours, mais il existe bel et bien : pourquoi pas plutôt un personnage collectif ? Car après tout, c’est Israël qui avait été choisi par Dieu pour être son ambassadeur, son haut-parleur en quelque sorte à l’égard des autres peuples. C’est bien une mission de salut que d’être témoin du salut de Dieu.
Cette avancée manifeste qu’Israël avait pris conscience de sa vocation au milieu des nations.
Cela a commencé, longtemps avant l’Exil, par l’apparition d’un vocabulaire nouveau, d’une idée nouvelle chez le prophète Amos au huitième siècle av. J.-C. Dans le discours d’Amos, il n’est pas question encore de messie ; mais il faut le lire pour comprendre le développement de son idée par la suite. Comme tous les prophètes, il croit sans l’ombre d’une hésitation à la fidélité de Dieu ; mais la période est très noire, le peuple d’Israël, dans sa majorité, ne se montre pas digne de sa mission ; oui, dit le prophète, mais, quelle que soit l’attitude d’Israël, l’Alliance de Dieu reste toujours valable ; Amos sait aussi qu’il n’y a pas de chose trop prodigieuse pour le Seigneur, comme le disait le livre de la Genèse, ou encore que Dieu n’a pas le bras trop court, comme dit le livre des Nombres ; donc, sûrement, Dieu trouvera bien un moyen de sauver son entreprise ; et voilà l’idée du prophète : Dieu sauvera un petit Reste, ceux qui lui sont encore fidèles ; Amos dit : « Le Seigneur, le Dieu des puissances, aura pitié du reste de Joseph » (Amos 5,15). Isaïe, à la même époque, dit des choses similaires.
Cette idée sera ensuite reprise et approfondie par d’autres prophètes, dans un sens messianique, cette fois : Michée, d’abord, toujours au huitième siècle, puis Sophonie au septième et enfin Zacharie, au sixième siècle. Eux aussi annoncent que Dieu sauvera le Reste d’Israël, le petit noyau qui aura su rester fidèle contre vents et marées ; mais ils vont plus loin : ils annoncent que ce reste sauvé deviendra sauveur. Dieu s’appuiera sur eux pour sauver le monde ; car leur salut même sera pour le monde une preuve éclatante de l’œuvre de Dieu. Voici par exemple une très jolie phrase de Michée : « Alors le reste de Jacob sera, au milieu de peuples nombreux, comme une rosée venant du Seigneur » (Michée 5, 6).
La grande nouveauté de ce thème du petit Reste, dans ses derniers développements, on le voit, c’est que pour la première fois, on envisage que le Messie peut être collectif ; le sauveur du monde n’est pas un individu, c’est un peuple.