Le bouddhisme rencontre le confucianisme
Vu son importance toujours actuelle dans bon nombre de pays du Sud-est asiatique, le bouddhisme sera étudié séparément mais il est intéressant de voir comment cette religion, dès le début de notre ère, s’est subrepticement introduite en Chine et a influencé le taoïsme et le confucianisme sans provoquer de violences comparables aux guerres de religions occidentales. Cette introduction fut facilitée par un malentendu : les chinois ne virent d’abord dans le bouddhisme qu’une variante du taoïsme bien que ces deux religions s’opposent pratiquement sur tous les points fondamentaux. Tous les efforts des taoïstes portent sur l’obtention de l’immortalité physique car « être » est « bien-être ». Pour le bouddhiste, au contraire, ses actions, ses exercices, ses méditations tendent à « arrêter la roue de la réincarnation », la vie n’étant que source de souffrances. La confusion provint du fait que les deux reli
gions avaient de semblables pratiques extérieures : cérémonies publiques sans sacrifices, méditations, techniques respiratoires et diététiques poussées.
D’autre part les textes sacrés bouddhistes sont écrits en sanscrit et il était difficile de traduire les subtiles nuances du bouddhisme dans l’ancienne langue chinoise beaucoup plus concrète et moins portée sur les spéculations intellectuelles. Ce n’est qu’au début du Ve siècle de notre ère que, suite à de meilleures traductions, le bouddhisme authentique prit un essor rigoureux qui porta ombrage au taoïsme. A partir de ce moment, les deux religions se disputèrent pendant des siècles la conquête des âmes chinoises. Les taoïstes ne pardonnaient pas aux bouddhistes de leur enlever des adeptes tandis que les bouddhistes reprochaient à leurs concurrents de les présenter comme des taoïstes ayant mal interprété leur doctrine. Les taoïstes firent, il est vrai, beaucoup d’efforts pour présenter Bouddha comme étant un disciple du Vieux Maître mais qui aurait apporté une révélation incomplète.
Il y eut de nombreuses discussions passionnées entre les représentants des deux religions auxquelles se trouvèrent mêlés les confucianistes. L’une d’elle porta sur l’immortalité de l’esprit. Si les trois religions ou philosophies en présence admettaient qu’une partie de l’homme, l’âme, survivait après la mort, les débats montrèrent rapidement que chaque religion avait sa propre conception de l’âme, de l’esprit. Pour les taoïstes, l’homme possède plusieurs âmes, d’où la nécessité d’assurer l’immortalité à leur réceptacle naturel constitué par le corps charnel ; pour les confucianistes l’âme se réduit au souvenir des ancêtres invoqué lors des cérémonies réalisées en leur honneur ; enfin les bouddhistes, croyant à la réincarnation, admettent évidemment l’existence d’une « âme » qui transmigre sans pouvoir préciser exactement en quoi elle consiste. Bref rien ne pouvait sortir de ces discussions qui s’éternisèrent sans résultat. Ces joutes passionnées attirèrent même une sorte d’arbitrage de la part des empereurs souvent hésitants devant les discussions « byzantines » des religieux. En général ils furent davantage séduits par les bouddhistes, ce qui n’empêcha pas leur violente persécution en 845 : tous les monastères furent fermés et les religieux durent retourner à la vie laïque. Il faut dire que, à l’instar de ce qui se passa un peu plus tard en Europe, les monastères étaient devenus très riches.
Parallèlement à ces oppositions, le taoïsme et le bouddhisme, fondamentalement antagonistes dans leurs conceptions de la vie et de la mort, finirent par s’entremêler : imperceptiblement les notions de l’un passèrent à l’autre. C’est ainsi que la doctrine de la transmigration elle même transmigra chez les taoïstes et même chez
certains lettrés confucianistes. Quant aux bouddhistes, ils se laissèrent influencer par la littérature inspirée taoïste, quitte à prendre quelques libertés avec l’enseignement du Bouddha. Ces conflits permanents entre les deux religions les épuisèrent : malgré les concessions et les emprunts de l’une à l’autre, aucune des deux ne parvint à triompher. Et ce qui devait arriver arriva : lorsque le confucianisme, plutôt en retrait par rapport à ces religions, parvint au VIF siècle à mieux se structurer, il s’imposa face aux deux doctrines ennemies et cela d’autant plus facilement qu’il constituait la doctrine officielle. Toutefois les masses chinoises ne lui empruntèrent que certains éléments qu’elles mêlèrent à ceux déjà choisis dans le bouddhisme et le taoïsme afin de créer la syncrétique « religion chinoise ».