Le paradoxe: Un Messie crucifié et différent
Un Messie crucifié
Paul, comme tous les admirateurs du Nazaréen, prétend, ou plutôt il croit dur comme fer que ce Jésus est le Messie ; quels sont ses arguments ? Il n’en a qu’un, mais de taille : ce Galiléen que les autorités religieuses ont condamné et exécuté, eh bien, Dieu l’a ressuscité.
Oui, mais il reste que ce Messie ne ressemble nullement à ce qu’on s’était imaginé. Beaucoup de ses contemporains, par exemple, attendaient un roi : il serait, bien sûr, un descendant de David, il prendrait possession de son trône à Jérusalem dans l’enthousiasme général et, enfin, il nous rendrait notre indépendance ; on en finirait une fois pour toutes avec les Romains. Quand Jésus de Nazareth est entré solennellement à Jérusalem, monté sur un âne, devant une foule délirante, on a cru le grand moment arrivé ; mais il a bien fallu déchanter. Tout le monde sait comment la belle histoire s’est terminée : sur une croix, comme un malfaiteur, exécuté par ces mêmes Romains qu’il aurait dû vaincre et chasser ! Roi, il ne l’est vraiment pas, ce pauvre crucifié.
Prêtre, pas question, non plus ; d’ailleurs il ne descend pas de la tribu de Lévi ; prophète pas davantage, il n’a aucune légitimité, la preuve c’est que Dieu n’est pas intervenu.
Véritable paradoxe presque insoluble, à vues humaines : d’un côté, c’est indéniable, il est ressuscité, donc il est bien le Messie ; de l’autre, il nous surprend en tout point ; pas facile à comprendre, tout cela, ni à expliquer à tous ces juifs de bonne volonté qui pressent les apôtres de questions. Comment se fait-il que cet homme soit le Messie et qu’on ne l’ait pas reconnu ? Pour le dire autrement, s’il était vraiment le Messie, comment expliquer qu’on se soit à ce point trompés ? Il a été condamné au nom de la religion, précisément. Et qu’est-ce qu’un Messie qui n’apporterait pas complètement le salut ? Ni pour lui- même, ni pour les autres. Car, enfin, tout le monde le sait, avec la venue du Messie commenceront ce qu’on appelle les temps messianiques, c’est-à-dire la paix, le bonheur pour tous et pour toujours. Pas besoin de chercher bien loin pour admettre que ce n’est pas encore réalisé !
Et pourtant les apôtres ne peuvent pas en démordre : Pierre et Jean diront un jour devant ce même tribunal qui a condamné Jésus : « Nous ne pouvons pas nous taire. » Alors va commencer un énorme travail de réflexion, de méditation, pour essayer de comprendre et d’expliquer ce qui a bien pu se passer ; ce qu’étaient ces chemins de Dieu si différents des nôtres.
Un Messie différent
Paul n’élude pas ce problème, il passera le reste de sa vie à tenter de répondre de cette certitude qui l’habite désormais : « Nous prêchons un Messie crucifié, scandale pour les juifs, folie pour les païens… » (1 Corinthiens 1, 24). Parce qu’il a le génie de la synthèse, parce qu’il a été formé par un grand rabbin pharisien, Gamaliel, et qu’il possède donc parfaitement la connaissance des Écritures saintes du judaïsme, Paul dessine une sorte de fresque de l’histoire humaine : ce projet de bonheur pour l’humanité que Dieu nourrit depuis toujours ; ces échecs répétés des hommes : on les croirait volontiers appliqués à saboter le projet ; et, pourtant, l’inlassable patience de Dieu qui veut absolument sauver l’humanité de ses fausses pistes.
Ne cherchons pas pour autant dans les écrits de Paul et dans l’ensemble du Nouveau Testament une démonstration ; il ne s’agit pas d’une thèse que l’on construit, mais d’une découverte progressive et émerveillée qui a commencé pour les apôtres le soir de Pâques et pour Paul dans l’éblouissement du chemin de Damas. Désormais ils relisent les paroles de F Ancien Testament avec un regard neuf : le projet de Dieu se découvre à leurs yeux.